A) Une gouvernance plus lisible et efficace au niveau local
Des constats déjà souvent faits ont à nouveau montré leur pertinence, à l’occasion de la crise sanitaire, qui a confirmé le diagnostic de trop grand éparpillement des pouvoirs et des responsabilités et de centralisation trop forte des compétences (1). Diverses pistes paraissent dans ce contexte pouvoir être rappelées ou imaginées (2).
1. DES CONSTATS CRITIQUES ANCIENS CONFIRMES DANS LE CONTEXTE DE CRISE SANITAIRE
La crise de la Covid-19 a révélé, une fois encore, des maux connus de l’organisation de notre pays : la France n’a pu qu’opposer la lenteur de ses procédures (de commande publique par exemple, pour ce qui concerne l’achat de masques, qu’ils aient été commandés par l’État ou par les collectivités locales) à l’impatience et à l’émotion suscitées par la propagation rapide de la maladie. Même si rien de bien nouveau n’a été découvert durant cet épisode, les errances non résolues de notre organisation administrative nationale appellent un nouvel épisode de prise de conscience et de remise en cause de notre organisation administrative.
Brigitte Klinkert, désormais ministre déléguée chargée de l’insertion et alors présidente du conseil départemental du Haut-Rhin en faisait l’amer constat : lorsque les urgences hospitalières de son département approchaient la saturation et qu’il a fallu envisager le transfert de patients, la réponse de l’Allemagne aurait selon pris deux heures pour désigner des places, rendues disponibles dans des cliniques dès le lendemain matin, quand celle de la France a pris 2 semaines, pour déployer un hôpital militaire de campagne ou organiser le transfert des malades.
Pour faire simple, la France a la réputation justifiée d’être un pays :
* trop administré : c’est le fameux « mille-feuilles » administratif qui a déjà été si souvent décrié : notre système repose sur une double organisation. Notre pays est décentralisé mais avec de nombreux niveaux de responsabilité superposés : mairies, intercommunalités et syndicats ad hoc, conseil départemental, conseil régional. Il est aussi doté d’un État à la fois central et déconcentré dans les territoires, avec une fonction de mise en œuvre mais aussi de contrôle de l’action des acteurs décentralisés. Sans parler de l’Europe, qui interagit avec l’ensemble des acteurs précités ;
* trop jacobin : la France est un pays d’égalité, qui considère qu’une règle unique, applicable sur l’ensemble du territoire, est la meilleure garantie apportée aux citoyens mais qui constate néanmoins, de façon caricaturale, les difficultés qu’il y a à vouloir réglementer depuis Paris et de la même façon le rassemblement du 14 juillet parisien et la fête de village … (on le redécouvre à l’occasion des contraintes liées à la Covid-19) ;
* trop conceptuel : notre administration, qualitativement et quantitativement concentrée à Paris, consacre trop de temps à la conception théorique de son action, et porte trop peu d’attention à la mise en œuvre des mesures réfléchies. Par ailleurs, elle ne parie pas assez sur l’amélioration progressive d’une mesure par tâtonnements (ou par élaboration progressive du consensus, comme on dirait à Berlin), mais préfère concevoir en cénacle fermé un plan (supposé) parfait avant d’initier sa mise en œuvre, parfois trop tardive. Combien de circulaires brillantes sont restées lettres mortes, faute de temps suffisant de mise en œuvre, au regard du temps consacré à leur élaboration ? A vrai dire, la décentralisation, supposée rapprocher la décision du citoyen depuis 40 ans, n’a, jusqu’alors, pas vraiment changé les méthodes de travail, tant les formations intellectuelles des cadres territoriaux ressemblent à celles des cadres de l’État ;
* trop cloisonné : chaque administration raisonne comme si elle était seule au monde, pour résoudre les problèmes auxquelles elle est confrontée et ne conçoit la coopération que comme un ultime recours. Peu opérationnel en temps de routine, cet isolement rend inopérant le principe même de gestion de crise, qui consiste, face à un événement inédit, à mettre tous les moyens disponibles en œuvre pour y répondre et, par conséquent, à confier des tâches à des opérateurs non aguerris. On a vu ainsi, dans cette crise, l’hôpital public réclamer, en vain, des moyens humains et matériels certes utiles, mais redondants avec ceux, demeurés mal ou sous-employés, de la médecine de ville, des cliniques privées, des moyens de secours des pompiers, des moyens militaires, des laboratoires d’analyse privés et/ou départementaux. Mais on savait déjà, dans un autre domaine, que seule la crise des vocations avait contraint l’¬Éducation nationale à renoncer à ses « titulaires remplaçants » pour palier les absences de ses titulaires « titulaires », alors même qu’elle vient de faire la démonstration (plus ou moins concluante) de son aptitude à mettre en place en urgence un télé-enseignement pour tous ;
* trop peu ouvert aux usagers : dans la gestion des services publics, on ne donne pas suffisamment voix au chapitre aux administrés. Lorsque l’Allemagne gère de nombreux services publics sur un mode « coopératif » avec une forte représentation des citoyens (à l’image de la place des syndicats dans les entreprises), on reste en France dans un modèle caractérisé par une forme de défiance de l’État vis à vis du modèle coopératif.
2. LES ORIENTATIONS DE PRINCIPE
Réformer dans le bon sens la Cinquième République, c’est veiller à ce que « le pouvoir arrête le pouvoir ». Or des pouvoirs locaux trop fragmentés ne favorisent pas un véritable partage du pouvoir, considéré non pas localement mais nationalement. Pour ce motif, il conviendrait de reprendre une idée imaginée il y a plus de trente ans par Pierre Mauroy et presque réalisée par N. Sarkozy, d’intégration des régions et des départements, selon le modèle dit « PLM », puisqu’il a été d’abord retenu pour les trois plus grandes villes françaises (il est désormais également adopté pour l’essentiel par les communes et les communautés de communes). Avec cette « imbrication » des départements et des régions, seraient constitués ainsi des « blocs territoriaux » solides et d’autant plus puissants que le nombre des régions a été revu à la baisse depuis 2016.
La novation porterait ainsi surtout sur le niveau intermédiaire, des départements et des régions. Leurs compétences (celles des régions et celles des départements, par hypothèse à l’avenir ainsi imbriquées) sont déjà importantes. Mais comment donner son plein sens au principe de subsidiarité et reconnaitre la demande légitime de différenciation des collectivités territoriales ? Des premières pistes sont envisageables : Leurs responsabilités devraient encore sans doute être accrues, s’agissant notamment des politiques de santé (santé publique et organisation de l’offre de soins, mais à partir de cadres nationaux). Hors le champ des mesures d’intérêt national, la politique sociale devrait également être plus entièrement décidée au niveau des régions/départements.
Les grandes orientations de la politique économique et de l’emploi et l’aménagement de leur territoire sont déjà déterminées au niveau des régions. Afin de rendre ces orientations plus démocratiques, on pourrait élargir les possibilités de recours au référendum : la population pourrait être consultée par référendum sur les grands sujets d’intérêt régional.
Les vagues successives de décentralisation ne se sont pas accompagnées, jusqu’ici, de simplification sensible pour les citoyens, tant les compétences transférées sont restées corsetées au sommet par les ministères et contrôlées sur les territoires par les services de l’État. Approfondir ce mouvement supposerait de faire le pari (non sans risque) de la confiance envers les collectivités territoriales : a minima, cela remet en cause le rôle de certains ministères dès lors qu’ils n’ont plus de moyens propres pour assurer les compétences transférées (en matière de tourisme, confié aux collectivités territoriales, ou d’actions en faveur de la famille, dépendant de la CAF). Cela interroge aussi le rôle de conseil et celui de contrôle, exercés par les préfectures et les services de l’État.
Ceci imposera, probablement, de transférer aux tribunaux le pouvoir et les moyens de contrôle perdus a priori par les préfectures. Mais cela suppose aussi une remise à plat des relations entre les collectivités territoriales : jusqu’alors fondées sur le principe de spécialisation de leurs compétences et sur l’indépendance entre elles, l’abandon du rôle de conseil par l’État suppose, au contraire, l’organisation d’une solidarité qui n’a rien de spontanée entre les collectivités territoriales, les plus structurées devant servir d’appui aux plus petites, incapables de mettre en œuvre avec leurs moyens propres les mesures les plus complexes. Cela s’est déjà fait, à vrai dire, mais imparfaitement, par exemple avec l’instruction des permis de construire (le droit des sols) et l’ingénierie territoriale, mise à disposition des communes par les intercommunalités.
Aller plus loin est possible, même si cela demande de construire un consensus fort, à l’occasion par exemple d’un « Beauvau des territoires », pour réduire le « mille-feuilles » à trois couches administratives, qui seraient les seules à disposer de moyens (financiers et humains) et de l’autorité normative, les autres niveaux, communes et départements, seraient des échelons facultatifs (maintenus ou créés respectivement, autant qu’elles le souhaitent, par les intercommunalités et les régions).
* Un niveau de conception, central, destiné à produire les objectifs, à définir les moyens pour y parvenir et à vérifier l’efficience des dispositifs mis en place.
* Un niveau de déclinaison territoriale, destiné à adapter la doctrine nationale aux réalités des territoires et à en rendre possible la réalisation.
* Un niveau de mise en œuvre des mesures, capable de toucher le public visé et de prendre en compte ses préoccupations et attentes.
À partir de ce principe commun, s’il était accepté de tous, les collectivités seraient libres de définir, en fonction de la nature de la mission, et de leur territoire d’autre part, comment articuler ces trois niveaux d’administration [1]. Cette simplification ne passerait en effet pas par une adaptation uniforme d’un modèle commun : pour tenir compte de la diversité des territoires d’une part, et de la pertinence des niveaux de mise en œuvre politiques d’autres part, il est probable qu’il soit nécessaire d’accepter une organisation différenciée.
Cette organisation nouvelle devrait tenir compte de la réalité géographique et culturelle des territoires, ce qui passe probablement par la disparition des départements au profit des régions là où cela fait sens (la Corse, la Bretagne, l’Alsace, l’île de France par exemple) où la distinction départementale n’a probablement plus de justification.
[1] L’échelle de mise en œuvre des mesures pourrait ainsi être considérée : il est vraisemblable que l’échelle pertinente pour aménager un réseau de transport scolaire, de collecte des ordures ménagères soit probablement au moins départemental, que celui pour développer un réseau 5G ou donner accès à la fibre aurait gagné à être national (ou régional) ; mais qu’a contrario, celui pour diffuser de l’action sociale et de la solidarité, veiller à l’acheminement des produits vitaux (masques, en l’occurrence) ou à l’accès aux services publics de proximité est proche de la commune ou de l’intercommunalité, selon les cas, pour atteindre directement le citoyen au plus près de sa résidence.