L’accès à la prévention

Orientation : renforcer la prévention dans les politiques de santé et en intégrant une dimension de santé publique dans toutes les politiques publiques.

En matière de santé, les besoins de prévention sont plus importants chez les populations les plus fragiles. Or, ce sont ces populations qui accèdent le moins aux dispositifs de prévention. L’attention portée à la prévention est ainsi un indicateur du degré de démocratisation d’une société. Fidèle à sa promesse d’émancipation, la République a vocation à renforcer la prévention dans les politiques de santé, en intégrant une dimension de santé publique dans toutes les politiques publiques.
Avec la crise sanitaire, la responsabilité de l’État en matière de santé publique a été réaffirmée. La santé publique est l’activité organisée visant à promouvoir, protéger, améliorer voire rétablir la santé de personnes, de groupes ou de la population entière. Les observateurs internationaux considèrent que la France n’a pas une grande culture de santé publique. Son système de santé privilégie le curatif et néglige largement le préventif. Les dépenses de prévention ne représentent que 2% du total des dépenses de santé en France. Ce taux atteint 3% en Allemagne et 3,1% dans l’Union européenne. De ce point de vue, la crise sanitaire peut être l’occasion d’une prise de conscience et d’un changement profond.
Il se joue en effet quelque chose d’essentiel dans la capacité de la République à protéger efficacement contre la maladie les citoyens et les étrangers qui vivent sur son sol, avec une attention particulière pour les plus fragiles. Cet idéal de solidarité et de solidarité proactive est au cœur du projet humaniste : c’est la « responsabilité pour autrui », selon la formule d’Emmanuel Lévinas. Il convient donc de rééquilibrer le système de santé français en renforçant la prévention dans les politiques de santé [1] et en intégrant une dimension de santé publique dans toutes les politiques publiques (2).

1. RENFORCER LA PREVENTION DANS LES POLITIQUES DE SANTE

Le système de santé français se caractérise aujourd’hui par la primauté donnée à l’hôpital par rapport à l’offre de soins de premier recours, aux spécialités techniques par rapport à la pratique clinique, enfin au curatif par rapport à la prise en charge préventive. Dans notre pays, la baisse de la couverture vaccinale s’inscrit dans ce recul de la prévention (liée, mais pas seulement, à l’affaiblissement de la santé scolaire).
L’adage « mieux vaut prévenir que guérir » est négligé. Dans la crise sanitaire, c’est l’incapacité à tester à titre diagnostique, donc à identifier et à réduire d’éventuels foyers épidémiques, qui a rendu nécessaire un confinement général afin de freiner le développement de la Covid-19.
Les politiques de santé, notamment dans leur volet préventif, connaissent toujours de grosses insuffisances dans deux secteurs : la santé des jeunes (de la petite enfance à l’âge de 25 ans, le problème ne se réduisant pas au recul de la santé scolaire) et la santé au travail (pour les salariés, les travailleurs indépendants et les personnes sans emploi). Il importe de développer des politiques de prévention à destination de ces populations.
Deux problématiques ont été mises en avant par les contributeurs : celle des plus vulnérables et celle de la santé mentale.

Les plus vulnérables
Les inégalités de santé sont dues à 80% au fait que les populations qui ont le plus besoin des actions de prévention sont celles qui y recourent le moins, en l’absence de politique construite à leur intention, avec une approche populationnelle et territorialisée. Les catégories socioprofessionnelles les moins favorisées ont toujours une espérance de vie de 7 ans inférieure à celle des catégories socioprofessionnelles les plus favorisées. Cet écart est du même ordre entre les départements du nord de la France et ceux du sud.
Le concept de vulnérabilité s’est concentré longtemps sur la population âgée. La crise sanitaire a rappelé que les besoins de santé non satisfaits restaient importants chez les séniors, y compris ceux qui sont accompagnés dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Toutefois, la vulnérabilité s’invite aussi à d’autres périodes de la vie. Ses causes sont notamment économiques et sociales Cette vulnérabilité est particulièrement accrue parmi les minorités, les migrants, ou les personnes vivant avec un handicap, physique et/ou psychologique.
Du latin « vulnus », la blessure, le vulnérable est celui qui peut être facilement blessé et qui se défend mal. La vulnérabilité en médecine renvoie à une dimension dynamique des individus qui peut être affectée par de multiples facteurs perturbant plus ou moins gravement leur équilibre de santé et leur adaptation à leur environnement. Identifier ces facteurs perturbants est essentiel pour pouvoir définir les axes de prévention pertinents. L’épigénétique [2] étudie l’impact des éléments environnementaux sur l’expression des gènes, qui influe de manière décisive sur la santé physique et mentale. Ces modifications épigénétiques jouent un rôle dans le développement de cancers, de maladies neurodégénératives, de maladies métaboliques et endocriniennes et de troubles mentaux. La recherche en la matière doit sans doute être encouragée.
La prévention doit être enseignée davantage, dès l’entrée en faculté de médecine. Cela passe par des enseignements de philosophie et de sciences sociales, et pas seulement de mathématiques, de physico-chimie et de chimie organique. La médecine de proximité ne doit pas se réduire au soin et à la prescription, mais constituer une prise en charge globale : éducation sanitaire dès le plus jeune âge, diététique, incitation à l’activité physique et lutte contre la sédentarité, conseils éclairés sur les addictions, l’hygiène de base, le suivi personnel des troubles chroniques comme le diabète ou l’hypercholestérolémie, etc. C’est l’affaire non seulement du médecin traitant, mais aussi des auxiliaires médicaux dans leurs décrets de compétences.
Cette orientation appelle de développer les autres formes de rémunération qu’à l’acte : des rémunérations forfaitaires à la capitation, au parcours de soins ou à la pathologie suivie.

La santé mentale
Une place particulière doit être réservée aux détresses psychiques qui se multiplient : troubles de la personnalité et du caractère, troubles anxieux, troubles psychotiques, névrotiques, addictifs, troubles de l’humeur, troubles chez l’enfant et l’adolescent, troubles associés à des pathologies somatiques chroniques, etc.
La prévention des déséquilibres psychiques exige en premier lieu d’approfondir les connaissances sur les facteurs favorisant ces déséquilibres afin de les réduire très significativement. Elle appelle une réponse globale et diversifiée : dépistage, prise en charge personnalisée, temps d’écoute à aménager, visites à domicile, interventions des équipes mobiles dans le milieu de vie.
Pour les populations en état de déchéance physique (perte de mobilité, grabataires, etc.) voire confrontées à des difficultés matérielles (manque de ressources pour les besoins élémentaires comme faire ses courses ou se déplacer), une prise en charge coordonnée doit être mise en place entre tous les acteurs (familles, structures d’accueil, aides à domicile, médecins traitants, infirmières libérales, masseurs-kinésithérapeutes, orthophonistes, ergothérapeutes, hôpital, centre communal d’actions sociales, voisinage, associations de proximité, etc.). Seul un travail de complémentarité en équipe peut prévenir ou limiter significativement les situations de détresse médico-sociales.

Il est difficile, pour le médecin traitant, compte tenu de son manque de disponibilité, d’exercer un rôle de pivot dans l’organisation des prises en charge sanitaires et des accompagnements sociaux et médico-sociaux. C’est une spécificité française : le médecin est censé être au centre de la santé alors qu’il n’est qu’au centre des soins. La généralisation du dossier médical partagé (DMP) sera un progrès, mais sur les seules données sanitaires. Sans doute une nouvelle profession de santé doit être développée : gestionnaire de cas, exercée par des infirmières expérimentées, cadres infirmiers exerçant en libéral et en ambulatoire. Ces gestionnaires de cas sont utiles au décloisonnement des interventions des différents acteurs sanitaires, sociaux et médico-sociaux.

2. INTEGRER UNE DIMENSION DE SANTE PUBLIQUE DANS TOUTES LES POLITIQUES PUBLIQUES

La prévention n’a pas que ce sens restreint : celui des actes ou des conseils de prévention dispensés par des professionnels de santé. Elle ne se réduit pas à une approche médicale. Dans un sens plus global, la prévention consiste à agir au niveau individuel afin de réduire les facteurs de risque, par une éducation permanente aux dangers des drogues, légales ou non (alcool, stupéfiants, psychotropes), de la « mal-bouffe » industrielle et de la sédentarisation de notre société. La prévention nécessite aussi d’agir, au niveau national et mondial, dans la lutte contre la pauvreté, dans le développement de l’éducation et la diminution de la pollution (par l’amélioration des transports, la protection de l’environnement le développement d’un urbanisme plus humain et la transformation de l’agriculture).
Certains pays ont adoptés l’adage : « Health in all policies » : chaque fois qu’une politique – quel que soit son secteur – est discutée, il faut la passer au crible de son impact sur la santé. A bien des égards, cette approche globale relève encore de l’utopie dans notre pays, comme dans la majeure partie des pays occidentaux.
Les politiques liées à la transition écologiques (alimentation, habitat, mobilités, énergie, pollutions environnementales, etc.) doivent, les premières, intégrer systématiquement une dimension de santé publique.

[1Joël de Rosnay, Dean Ornish, Claudine Junien, David Khayat et Pierre-Henri Gouyon, La révolution épigénétique, Albin Michel, Paris, 2018.

[2Joël de Rosnay, Dean Ornish, Claudine Junien, David Khayat et Pierre-Henri Gouyon, La révolution épigénétique, Albin Michel, Paris, 2018.

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