B) Un mode de décision moins concentré et moins soumis à des fausses urgences au niveau national

1. LE CONSTAT D’UNE DEFIANCE PRONONCEE AU NIVEAU NATIONAL

Le niveau de confiance tel qu’il est périodiquement mesuré par des sondages, sous forme de « baromètres », est depuis des années bas en général ne France, vis-à-vis des diverses autorités publiques (ou privées d’ailleurs, les syndicats et la presse souffrant également d’une désaffection prononcée).

Au sein des diverses catégories de personnes publiques, ne niveau de défiance est cependant variable : parmi d’autres données, on peut citer celles issues d’une enquête annuelle publiée depuis 2014 par le Monde sous le titre de « fractures françaises » [1] . Le taux de confiance maximal bénéficie aux petites et moyennes entreprises (à 80 %, mais pas au grandes) et aux maires, échelon politique et administratif de de proximité (à 70 %). Mais le niveau de confiance exprimé envers les députés est faible (de 25 %), les médias (23 %) ou les partis politiques (10%). Le président de la République quant à lui n’échappe plus à ce sentiment de défiance (avec un niveau de confiance de 30 % seulement).

De fait, la crise des « gilets jaunes » avait été perçue en particulier comme l’expression d’une protestation, face au caractère lointain et sourd du pouvoir d’État, trop concentré et trop « technicien (ou technocratique). Ces résultats expliquent d’ailleurs dans une certaine mesure l’expression de défiance qui a été très prononcée en France envers les gouvernants, alors même que d’autres responsables, en Grande-Bretagne notamment, conservaient un niveau de confiance nettement plus élevé malgré des erreurs patentes. L’expression de la défiance préexistait à la pandémie, l’opinion y a vu en France une occasion confirmée de remise en cause [2] .

2. LE REFLET D’UNE TROP FORTE CENTRALISATION ET D’UNE CONFISCATION DU POUVOIR ?

Identifier les causes et les remèdes potentiels de ce « malaise » démocratique n’est pas aisé : la possibilité de choisir le principal responsable, le président de la République, au suffrage universel direct, peut être considéré comme un levier de démocratie. On peut considérer cependant que s’exprime de manière confuse le souhait d’une participation mieux partagée aux délibérations et au contrôle.

Dans cet esprit, de nombreuses pistes d’évolutions sont avancées, comme le recours au tirage au sort de représentants, le recours à des référendums ou les modes d’exercice du droit de vote. Même s’il faut relativiser les « gains » attendus de ces pistes, on peut en détailler certaines à titre d’exemple :
i) un recours au tirage au sort pour apprécier avant une élection le degré de mise en œuvre des promesses faites. Des citoyens seraient ainsi désignés par tirage au sort chaque année, à partir des listes électorales. Ils seraient susceptibles d’être mobilisés pendant une semaine et défrayés. Pour la plupart peu formés à la chose locale, ils apporteraient leur vision et auraient pour mission d’estimer, en toute neutralité et indépendance, le niveau de réalisation des promesses faites par les élus. Un tel tirage au sort permettrait une mixité accrue, sur différents plans : social, politique, d’âges ; de sexe, professionnelle ;
ii) rendre le vote obligatoire : l’insuffisance de participation au vote décrédibilise le poids de la représentation des élus. On pourrait prévoir ainsi de rendre le vote obligatoire et d’assurer une formation des citoyens, pour atteindre une participation suffisante aux élections ;
iii) Développer les jurys citoyens : un groupe citoyen serait tiré au sort avec une base « conseil » choisie et travaillerait aux côtés d’un groupe expert est composé de spécifiques, d’économistes et de juristes, et d’un groupe d’élus, constitué en proportion de la représentation électorale. Ces trois groupes à part égales seraient ont chargés d’élaborer les projets jusqu’à consensus.

3. ORGANISER LES DEBATS DE MANIERE SEQUENCEE ET PROGRAMMEE

Autant peut-être que des dispositions relatives aux compétences des différents acteurs ou à la reconnaissance de nouveaux modes de légitimité, une source d’amélioration de la confiance paraît possible, grâce à une organisation plus lente et structurée des débats publics, préalables aux décisions. Très souvent, des mesures législatives sont décidées sous le coup d’une urgence supposée, ce qui contribue à une forme d’instabilité et d’inflation législative. Des lois moins nombreuses, mieux faites, sont aussi des lois qui auraient eu le temps de « maturer », grâce à des débats suffisants.

La technique des « livres blancs », documents d’études préalables, qui sont ensuite transmis aux assemblées pour avis, (on parle parfois, dans le contexte de la commission européenne, de « livres bleus » à ce deuxième stade), avant de faire l’objet d’un texte législatif affiné et opérationnel, permet qu’un débat véritable associe toutes les « parties prenantes », et d’y associer l’expertise disponible.

Certains pays de l’Europe du Nord (Norvège) ont un agenda programmé à l’avance de projets qui doivent également accomplir un parcours complet, de la phase du constat partagé à l’examen des options possibles puis aux décisions.

On est frappé, à l’inverse en France, par la fréquence de dispositions législatives redondantes, par exemple sur les thèmes sécuritaires ou sur la lutte contre les fraudes, deux thèmes supposés correspondre aux attentes de l’opinion et qui permettent de répondre (au moins en apparence et à court terme) à l’indignation ou parfois à des préjugés.

L’article 34 de la Constitution a protégé la loi contre le risque d’insignifiance, en définissant un domaine législatif de manière limitative : on pourrait de même à nouveau protéger la loi, ou a minima les « lois de programmations », contre un nouveau risque d’insignifiance, induit par la pression de l’urgence et des médias, en imposant une procédure sérieuse et attentive. Les différents acteurs (du président de la République, qui ne serait plus tenté d’annoncer un nouveau projet de loi après chaque attentat, aux partis, qui seraient incités au moins sur certains textes à rassembler et affiner leur expertise) y verraient leur rôle modifié et sans doute leur crédibilité partiellement restaurée.

[1Voir le Monde du 17 septembre 2020 pour la dernière édition, à partir de sondages effectués par les instituts Ipsos Sopra-Steria, en partenariat avec la fondation Jean Jaurès et l’institut Montaigne.

[2La même enquête signale d’ailleurs que l’environnement passe au premier plan des préoccupations des Français, avec une progression spectaculaire, ce qui peut être mis en relation avec la dégradation encore accrue de la confiance envers les décideurs publics (voir supra).

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