C) Refonder une Europe politique, humaniste, citoyenne et solidaire

La rupture du lien de confiance entre l’Union européenne et ses ressortissants est symptomatique de la crise qu’elle traverse depuis au moins deux décennies. Certes, il est un peu paradoxal de constater que la rupture apparaît au moment où l’Europe s’est dotée de nouvelles institutions qui ont donné au Parlement européen des moyens d’action réels, confirmant son fonctionnement démocratique.

Sans doute, est-il parfois difficile pour les citoyens européens que nous sommes de nous reconnaître dans le modus operandi de cette Union, fort technocratique qui pour nous français, reste très marquée par le système anglo-saxon. Il est sans doute très utopique de rêver d’une Europe républicaine, encore que cette préoccupation n’était pas très éloignée d’Altiero Spinelli, un des « pères fondateurs » de l’Europe. Certes dans des états membres où la monarchie domine le terme de République peut paraître inapproprié. Il n’en reste pas moins que l’Europe gagnerait à redéfinir son projet politique.

Refonder l’Europe, c’est avant tout, permettre aux citoyens de renouer avec le projet européen, d’y croire et de se l’approprier. Encore faut-il que l’Union européenne rompe avec ses vieux démons et remette l’homme au centre de son action.

1. LE CONSTAT D’UNE CRISE MULTIFORME

Le constat est aujourd’hui patent : l’Europe ou plus précisément l’Union européenne est à bout de souffle. La situation n’est, certes, pas nouvelle mais depuis maintenant une bonne vingtaine d’années, on assiste crise après crise à une lente dégradation. Les plus optimistes considèrent qu’elle n’est pas inexorable, encore faudrait-il trouver le chemin de la redynamisation d’institutions affaiblies. Les causes sont évidemment multiples.

On pourrait citer pêle-mêle, la montée de l’euroscepticisme porté par des partis ultra nationalismes, la défiance voire l’hostilité des citoyens européens à l’égard de structures qui les contraindraient plus qu’elles les libéreraient ou répondraient à leurs besoins. Symbole de ce rejet, le Brexit, s’il a le mérite de la clarté n’en fragilise pas moins l’édifice. L’Union européenne est aujourd’hui soumise à de nombreuses fractures, clivage entre états du Nord et états du Sud, difficile intégration des pays d’Europe centrale et orientale ...

En fait, si l’Union européenne n’a qu’une soixantaine années d’existence, ce qui est peu à l’échelle du monde, elle semble néanmoins avoir subi deux échecs majeurs : sa constitution inaboutie en tant qu’entité politique, (c’était le projet central du Traité de Maastricht) et son incapacité à s’élargir de manière effective aux pays les pays de l’Est qui l’ont rejointe après la chute du Mur de Berlin.
Certes la sphère géopolitique a en quelques décennies fortement évolué, mais il n’en reste pas moins que cette Europe forte de ses valeurs, construite pour apporter la paix et la prospérité économique, est à la croisée des chemins. Si elle veut continuer à peser un tant soit peu sur la marche du monde, elle doit impérativement et urgemment redéfinir son projet.

2. POSER DES PRINCIPES

La question est donc de refonder l’Union européenne. Sur quelles bases et avec quelle méthode ?

S’agissant de la méthode, il conviendrait de reprendre le projet d’une convention. Certes l’échec du projet de traité constitutionnel de 2005 est un précédent fâcheux mais c’est la meilleure méthode pour réformer le fonctionnement de l’Union européenne et sortir de la logique intergouvernementale qui aujourd’hui « mine » les institutions européennes.

Plusieurs principes pourraient servir de guides :

  • tout en réaffirmant les valeurs qui figurent dans la Charte de Droits fondamentaux, il est impératif de sortir l’Union européenne du dogme du néolibéralisme ;
  • il faut se donner les moyens d’être une Europe Puissance, capable de faire entendre sa voix à l’échelon du monde ;
  • cela passe par une redéfinition de la souveraineté européenne :
    • en terme politique, notamment par une affirmation de ses compétences, certes dans le respect de la subsidiarité mais en identifiant les indispensables transferts de souveraineté ;
    • en termes géopolitiques, par l’instauration d’une véritable politique extérieure et de défense qui ne soit plus soumise au jeu des rivalités intergouvernementales et qui permette de réaffirmer sa place dans le dialogue et la coopération Nord/Sud ;
    • en termes économiques et notamment en matière industrielle (exemple l’industrie pharmaceutique).

Par ailleurs, il est indispensable de développer de véritables services publics au niveau européen, à cet égard, doit être reconnue la spécificité de la culture, de l’éducation, de la santé ou de la politique environnementale… Ces politiques communautaires ne doivent pas être dépendantes de la loi exclusive du marché.

Il y a aussi nécessité à assoir le budget européen sur un véritable impôt et à définir une véritable politique communautaire dans les domaines de la fiscalité et de la politique sociale
En dernier lieu, on ne peut envisager une refondation de l’Europe sans travailler à son rapprochement avec les citoyens européens.

3. ADOPTER DES PRATIQUES RENOVEES

Diverses évolutions pourraient contribuer à illustrer la recherche d’un nouvel équilibre, plus solidaire, plus ouvert sur les services publics et la culture, moins dépendant des lobbys et des influences religieuses.

. Avec les pratiques issues de la démocrate-chrétienne. Certes, cette pratique politique est le fait de partis politiques responsables et démocratiques. Il serait néanmoins souhaitable d’instaurer une véritable neutralité religieuse des institutions européennes aujourd’hui mis à mal par une omniprésence inquiétante des représentants des organisations cultuelles.
Au-delà des valeurs définies dans la Charte des Droits fondamentaux, cette Europe humaniste doit en effet être neutre sur le plan religieux et reprendre les grands principes du Pacte républicain.

. Avec la pratique forcenée du lobbying qui met sur le même plan intérêt général et intérêts particuliers. C’est une pratique anglo-saxonne qui par son développement, mine littéralement le fonctionnement des institutions européennes.

Il conviendrait également de reconnaître une dimension de services publics plus affirmée :
₋ le développement de véritables services publics ne doit pas céder devant le dogme de « la concurrence libre et non faussée » ;
₋ l’affirmation du principe de Solidarité, au sein de l’Union comme à l’extérieur, peut se fonder souvent sur des services publics européens. C’est ne particulier le cas s’agissant du douloureux problème des migrants et de la nécessaire coopération avec les ACP.

Un autre axe d’affirmation, qui impose des pratiques rénovées, est la défense des libertés fondamentales : or beaucoup reste à faire dans cette Union européenne pourtant si attachée aux valeurs démocratiques. Beaucoup pourrait être fait grâce à une expression citoyenne réaffirmée et renouvelée : le Traité de Lisbonne a introduit la possibilité pour les citoyens européens d’interpeller la Commission européenne et de lui imposer l’instruction de nouveaux dossiers. Malheureusement la procédure rend cette ICE (Initiative Citoyenne européenne) très difficilement applicable. Il faut donc reconsidérer les possibilités données aux citoyens européens d’interpeller les Institutions ou leurs représentants.

Enfin, il conviendrait de développer les politiques communautaires susceptibles de renforcer le sentiment d’appartenance à l’Europe. Ainsi, beaucoup reste à faire en matière d’éducation, même si on peut se féliciter du succès du programme Erasmus et Erasmus + et du Service civique. Ils devraient être généralisés.

Par ailleurs, la culture reste le parent pauvre des politiques communautaires, elle a néanmoins montré qu’elle était un facteur de cohésion non négligeable, les « Capitales européennes de la culture » en sont un excellent exemple. Tant dans le domaine de la création que de la sauvegarde patrimoniale, l’Union européenne doit considérer la culture comme un de ses fondamentaux.

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