1. REPARER 

Comment concevoir une politique de la ville qui favorise le mélange des populations et n’aboutisse pas à l’abandon ni à la dérive des quartiers et des banlieues ?

D’abord, un constat. La coupure dans les grandes villes entre populations riches et pauvres, intégrées et marginalisées, du centre et des périphéries, ne cesse de s’accentuer, avec son lot de violences, de trafics, d’inégalités, de désespoir... L’action publique peut et doit apporter des solutions à ces fractures, à la fois territoriales et sociales. La politique de la ville ne doit pas rester un mot vague ou un slogan (Mot dérivé de l’anglais « slug horn », ou « cri de guerre »). C’est un enjeu de première importance si l’on veut « recoudre » le lien avec les « quartiers » et déjà dans les agglomérations qui attirent le plus la population jeune, à l’échelle de la France comme à celle du monde (1).
Comment tirer profit des expériences réussies ? Les architectes ont leurs solutions, comme les urbanistes, les exécutifs locaux, les responsables d’associations… Mais seule une nouvelle « citadinité » peut renforcer l’armature morale et sociale de ces territoires. Et refaire de chaque citadin un véritable citoyen (2).

1. UNE COUPURE QUI S’AGGRAVE

La constitution de certaines « banlieues » en lieux de relégation sociale est un phénomène ancien. Un mouvement a conduit les villes, où antérieurement les résidences étaient occupées de bas en haut en fonction des classes sociales (selon que nous appelons le principe de la « résidentialisation verticale »), à pousser les classes populaires en périphérie en proche banlieue ou lointaine banlieue. Cette évolution est la conjonction de trois facteurs qui sont la croissance de la classe ouvrière due à la très forte industrialisation et l’évolution des politiques d’urbanisme (avec la promotion des Habitations à Bon Marché (HBM), devenues par la suite les HLM), pour répondre aux conditions sanitaires insalubres des logements en ville, enfin la politique de l’accès à la propriété, qui de facto n’est possible que sur des terrains disponibles uniquement hors des villes). Enfin, le troisième facteur est la création du concept de pavillon de banlieue, importée des États Unis avec son modèle de ghetto pour la classe moyenne. Cette sortie programmée hors des villes se fait sur la base de distanciation géographique, structurant la distanciation sociale, avec des zones de résidences ségrégées.
Cette politique, de construire des immeubles de logement sociaux puis des quartiers et enfin des villes à distance du centre, a réduit ou détruit la mixité sociale et renforcé la différenciation des niveaux scolaires. L’aide aux devoirs y est en moyenne plus faible et les instituteurs souvent moins expérimentés, ce qui a pour conséquences d’accentuer la discrimination, car les plus mal logés sont souvent issus de l’immigration, avec une mauvaise connaissance du français.
Le drame des banlieues tient pour beaucoup à l’insécurité qui s’y propage. Cette insécurité est liée directement à l’oisiveté (au sens d’absence d’activité rémunérée) et à la pauvreté. Elle tient également à un manque d’éducation scolaire. D’où l’impératif d’un enseignement civique (enseigner la notion de laïcité), relayé par des activités sportives d’encadrement (indispensables à une culture de la volonté et de la bonne santé physique et morale). Rendre conviviales et accueillantes les banlieues, les aérer avec des espaces verts, des surfaces d’activités sportives, reste possible. Les encadrements professionnels de réinsertion ou d’accompagnement déjà mis en place sont des mesures utiles, encore insuffisantes.
Le second problème important des banlieues, comme celui des campagnes, est le sentiment d’y être abandonné par la République. C’est pourquoi les services publics doivent y faire leur retour (école, poste, services fiscaux, police) et les entreprises de production s’y relocaliser. Ce n’est pas si simple, certes, mais cela est atteignable, surtout si un programme d’ensemble organise cette « reconquête » du service public.

2. DES LOGIQUES NOUVELLES SUR LE PLAN URBAIN

Les logiques urbaines peuvent être inversées. Nous devons penser la ville pour mettre fin au mécanisme de concentration des habitants en fonction de leurs revenus et pour ce faire mettre en place une politique d’urbanisation allant dans le sens d’une nouvelle mixité sociale. Nos élus respectent pour la plupart la loi Solidarité et Renouvellement Urbain (SRU du 13 décembre 2000), même si certains toutefois préfèrent payer une amende pour non-respect de l’obligation de 20 à 25 % de logement sociaux par commune. Mais cette loi SRU doit être réformée. Une refonte de cette loi devrait imposer en effet de raisonner à une échelle plus fine, du quartier, d’un « micro-quartier, voire d’un bloc d’immeubles : 20 % de la surface selon les cas de chaque quartier ou même de chaque cage d’escalier d’immeuble à logements multiples, construit ou rénové, serait affecté à un habitat social à loyer modéré ; et cette proportion ne devrait pas excéder un certain pourcentage, en termes de logements (par exemple 30 % des logements de cette surface), pour empêcher la construction de logements trop petits.
De même les surfaces des logements intermédiaires et logements dit de standing [1] devraient impérativement occuper une surface équivalente, soit 20 % chacun de la surface, le reste en partie commerciales, de bureaux et parties communes non exclusive (pas de circulation séparée pour les logements sociaux !). Une répartition similaire doit être mise en place dans les zones pavillonnaires, en ne faisant aucun sort particulier pour les habitations à bas coût.
Il conviendrait en outre d’imposer la mise en place de services de proximité, de type « Maison des Services Publics », à moins de 500m ou de dix minutes de chaque logement, ou bien d’assurer un transport des personnes gratuit pour s’y rendre (dans les zones d’habitat peu denses). De même, serait assurée une présence de transports publics réguliers facilement accessibles, en proximité, avec accès PMR (la dérogation obtenue par la RATP ne va pas dans ce sens) et avec des horaires permettant aux personnes travaillant en horaire décalé d’en avoir l’usage en toute sécurité et à un coût accessible.
Les grands ensembles, par leur conception d’origine, sont aujourd’hui dans la majorité des cas des ensembles fermés, retournés sur eux-mêmes et de faits isolés de leur environnement. Il faut recréer des accès qui s’inscrivent dans l’écriture de la ville environnante et prolonge, vers et à travers le grand ensemble, les différents axes de la ville. En somme, d’une certaine manière, par des propositions architecturales que l’on pourrait développer, il faut désormais retourner le grand ensemble vers l’extérieur et en faire en partie un nouveau front de rue.
Aujourd’hui, la réhabilitation des bâtiments existants permet de proposer un panel très large de logements et d’activités. Il n’y a techniquement que peu de problèmes. On peut recréer, dans un même bâtiment et/ou dans plusieurs : des logements sociaux, des logements en accession, des logements adaptés aux personnes âgés, des résidences pour jeunes travailleurs ou pour étudiants, des bureaux, des salles de fitness ou des bibliothèques. Cette présentation à la Prévert, qui n’est pas exhaustive, se heurte principalement à des règles administratives et au statut des grands ensembles.
Si dans une ville on prévoit de construire une nouvelle poste, un nouveau commissariat, une crèche, une bibliothèque, un théâtre, ou tout autre service d’une certaine ampleur, pensera-t-on à le réaliser dans le grand ensemble ? Sans doute non, ce qui est dommage. Le grand ensemble doit se penser comme un véritable quartier de la ville. Il faut y ajouter les espaces verts. Aujourd’hui, trop souvent, ces espaces ne sont que des espaces vides et délaissés qui prennent parfois un caractère anxiogène. À une époque où pour des raisons climatiques la ville manque de nature, on imagine facilement comment ces grands espaces libres pourraient être réaménagés pour devenir des ilots de verdure et de vie. On pense aussi à la création de jardins partagés, dont l’utilisation et la gestion permettent de recréer du lien social. Dans la société, car comme le dit le sociologue de la ville Henry Lefebvre : « L’espace urbain est la projection au sol des rapports sociaux ».

3. UN PROGRAMME D’ACTION SUR LES PLANS ECONOMIQUE ET HUMAIN

On a dit déjà que les services publics devaient « reconquérir » les quartiers. C’est vrai pour la sécurité. Un effort particulier doit être fait pour la sécurité dans ces territoires. Les forces de police ne doivent pas y être moins physiquement présentes (commissariats ou annexes ouverts même le dimanche) qu’ailleurs. Elles doivent être visibles (îlotiers, police de proximité) mais aussi respectueuses. Représenter la République suppose d’être sans concession par rapport à l’ordre public et à la loi mais aussi sans ostracisme. Le vouvoiement doit être la règle, les matricules bien visibles et les contrôles filmés.
L’effort doit être aussi soutenu, sur le plan économique et humain. Les plans « Banlieues » ont plutôt privilégié les bâtiments (déconcentration, démolition isolation, voierie). Il faut continuer dans cette voie, par exemple en multipliant les espaces verts et terrains de jeu et en rénovant la production d’énergie. Mais il faut surtout redonner de l’espoir à ceux qui y habitent. Pour cela, des moyens doivent être alloués à la formation professionnelle pour « rattraper » ceux qui désespèrent déjà malgré leurs 16, 17 ou 18 ans. Un plan d’action qui nécessite de rouvrir les services publics qui ont été fermés : postes, écoles, hôpitaux ... Les moyens mis à disposition des entreprises (exonération d’impôts, subventions) pourraient être liés à l’embauche prioritaire de personnes du quartier. Une façon aussi de remettre en route l’ascenseur social.
La pandémie a donné un coup de pouce au sentiment que nous vivons tous dans « la même barque ». C’est là un levier efficace pour éviter que la Cité toute entière ne se complaise dans une jouissance autodestructrice, pour faire qu’à l’inverse elle se tourne vers une pensée relationnelle et élargie, seul moyen pour que le bien commun appartienne à tous.
Des mesures concrètes pour accélérer l’avènement de cette économie de l’interdépendance doivent en dessiner le visage renouvelé, en particulier les emplois de livraison à domicile créés pendant la pandémie, depuis la livraison de médicaments, le service restauration, les courses et produits alimentaires de première nécessité, les coiffeurs à domicile pour personnes âgées, les pédicures, kinés etc… Par ailleurs, certains services ne peuvent se concevoir dans la seule logique marchande. Ainsi la distribution des carburants ou de l’électricité (pour les véhicules hybrides). Une présence minimale pourrait être rendue obligatoire dans les stations-services. Cela concernerait 11000 salariés en France et avec les GMS (grandes et moyennes surfaces) qui comptent parfois 20 à 30 pompes chacune, ce ne sont pas moins de 20000 à 30000 emplois qui seraient créés.
Il n’y a pas de solution miracle et surtout pas de solution unique. C’est à l’évidence la conjonction d’un ensemble de propositions qui peut conduire à un changement profond. Et on ne peut plus, sérieusement, transformer de façon durable un quartier sans le soutien des habitants. Il ne s’agit pas simplement de leur demander leur avis ou de les faire voter (comme l’impose la loi aujourd’hui) sur un panel de solutions. Il faut travailler avec eux. Des ateliers urbains pourraient regrouper pendant plusieurs mois un nombre important d’habitants pour trouver des solutions. Le rôle de l’architecte et de l’urbaniste est de traduire physiquement des demandes et des souhaits et dans ce cadre, d’exprimer son (indispensable) originalité.

[1Seuls les secteurs industriels et de stockage devraient avoir une implantation délimitée en dehors des zones dédiées à l’habitat et aux loisirs afin d’en éloigner les nuisances.

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