3. IMAGINER 

Comment mettre en place un droit au travail qui garantisse à toute personne une activité réénumérée ?

Une forme de reconnaissance d’un droit individuel au travail existe déjà existe déjà dans la constitution française, comme dans nombre de textes de principes le droit à un emploi. Mais il n’est pas effectif ou plus exactement n’est pas opposable et peut difficilement le devenir (1). En revanche, la reconnaissance d’un droit à l’activité socialement utile, qui paraît mieux susceptible d’un véritable dépliement systématique et donc qui pourrait devenir véritablement opposable, doit devenir un objectif (2).

1. UN DROIT AU TRAVAIL THEORIQUE

Le droit au travail est inscrit dans le préambule de la Constitution française de 1946. Il figure également (art. 23) dans la Déclaration des Nations Unies de 1948 : « Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage ». Pourtant, jamais ces mots n’ont paru aussi vides de sens. La crise induite par la Covid-19 devrait d’ailleurs encore plus fortement accroitre le chômage de masse, qui reste le grand obstacle à l’extension de la solidarité entre les hommes, avec l’ignorance et les préjugés.
Est-il d’ailleurs possible de garantir un travail effectif et rémunéré à tous (à tous les actifs, en âge de travailler) ? Oui, en théorie, mais seulement si on accepte que la notion de « travail » soit relative, si on accepte par exemple de garder dans les effectifs salariés ou de recruter des personnes dont on sait qu’elles ne seront pas productives, ou seulement faiblement. Est-ce un service à leur rendre, est-ce un service à rendre aux autres salariés ? Au risque de choquer, et à condition de donner un vrai contenu au droit à l’activité (voir infra), il paraîtrait plus logique et plus respectueux de la valeur du travail et des personnes de ne pas confondre les objectifs et les leviers. Le travail ne sera reconnu et honoré comme il doit l’être que s’il ne peut pas être suspecté d’être une faveur, un faux-semblant, une sorte d’aumône…
Dans la réalité, il convient bien entendu d’être plus nuancé : de même qu’il y a selon l’expression célèbre d’Edmond Malinvaud, un « halo » autour de la notion de chômage, il y a un « halo » autour des notions d’emploi et/ou de travail : dans toute entreprise, outre les salariés (avec d’ailleurs des statuts plus ou moins intégrés, CDI ou CDD) on compte des stagiaires, souvent des apprentis, des collaborateurs occasionnels, des sous-traitants presque permanents, …. Mais ce sont des situations relativement minoritaires : un travail est en tant qu’idéal-type une activité salariée, conforme à des normes exigeantes et productivité et de qualité. Est-il possible de garantir à tous un emploi au sens d’insertion dans une production économiquement exposée ? (la promesse souvent faite est d’offrir à tous « un emploi de qualité », ce qui met en évidence avec d’autres mots la même difficulté).
La notion de « droit au travail », inscrite dans le préambule de la Constitution, garde cependant tout son sens, comme le rappel d’une obligation des pouvoirs publics, de rechercher le plus haut d’activité possible, compatible avec les objectifs sociaux et environnementaux.
Cela suppose également de mener des politiques destinées à développer « l’employabilité » des actifs, dans de multiples directions : sur les compétences acquises, l’éducation, le système de production, le contrat de travail…Bref, le droit au travail vaut engagement vis-à-vis de la collectivité, mais il ne peut valoir engagement effectif vis-à-vis de chaque individu, sauf à dégrader la notion même de travail (qui suppose un collectif, où chacun est égal en dignité cat chacun a conscience de son utilité et chacun mesure les enjeux économiques de sa tâche).

2. UN DROIT EFFECTIF A L’ACTIVITE A CONSTRUIRE

En revanche, il est inacceptable, dans une société solidaire, que des individus soient renvoyés à une sorte de néant social : pas de travail, pas d’emploi, pas d’activité, pas d’utilité sociale, pas de reconnaissance ni de droit à l’estime. Or tous les individus ont droit à une place, ce qui signifie au sens fort notamment qu’ils ont droit à exercer une activité utile et gratifiante.
Il n’est pas certain, pour ne donner que cet exemple, que les nombreuses associations culturelles, sportives, d’intérêt général, ou encore de défense de l’environnement ou de services à la personne, puissent créer des emplois rémunérés, là où il n’y a pas de demande solvable. Mais il paraît tout à fait possible qu’elles créent des emplois, au sens d’activités. Si on admet la mise en place d’un revenu minimum d’existence, il devient possible de créer de nombreux emplois soustraits aux contraintes marchandes. De la sorte les gens pourraient vivre et faire vivre leur famille tout en se sentant utiles. C’est de cela que les gens ont besoin : « avoir une utilité sociale et les moyens de vivre dignement ».
Devons-nous pour autant laisser définitivement le terme de « travail » au champ de la physique et lui préférer, dans tous les cas, le terme « d’activité » et son champ des possibles largement ouvert, puisque rendement n’est plus la vérité irrécusable ? Ce n’est pas certain, on l’a vu. Le travail serait du côté d’une forme même minimale de compétition, l’activité en serait exemptée, ce qui ne doit pas être perçu comme un statut dégradé.
Il reste donc à inventer, non pas une mais deux politiques, du travail et de l’activité, les deux étant reliées par une promesse, que chacun (par ailleurs assuré d’un minimum de ressources) trouve une place et une occasion de reconnaissance.

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