Comment réhabiliter une parole scientifique discréditée aux yeux du public ?

En général, la recherche scientifique ne fait pas les grands titres des journaux, sauf dans quelques cas particulièrement spectaculaires, ou qui flattent l’orgueil national. En fait, la plupart des gens ne connaissent de la recherche que ses applications technologiques.

L’erreur serait d’essentialiser le chercheur scientifique : il en existe de multiples catégories, qui travaillent pour certains dans des temps très longs, d’autres à des échéances rapprochées, certains dans des disciplines obscures à un public dont l’inculture scientifique est notoire (voir à ce sujet le colloque du GODF : « Reconquérir la culture scientifique, un enjeu humaniste [1].

1 - DANS LE CAS DE LA COVID-19

Dans les situations particulièrement anxiogènes, comme c’est le cas, l’opinion publique réclame des informations, sinon l’émotion l’emporte sur la raison ; or les atermoiements, les contradictions sempiternellement assénées avec une gravité évoquant parfois le théâtre de Molière, d’un petit quarteron de médecins, professeurs d’université ou non, qu’on a envoyé occuper la scène médiatique ont considérablement dégradé la confiance que le grand public, peu habitué aux nuances, accorde à la recherche scientifique (gripette ? confinement ou non ? masques… ?) Tous tentèrent de donner raison à Andy Warhol, qui prophétisait en 1968 : «  À l’avenir chacun connaîtra son quart d’heure de célébrité [2] . »

Pendant ce temps, les chercheurs de laboratoire, qui travaillent en recherche fondamentale (par exemple le séquençage du génome du coronavirus, et dont les résultats permettront les réels progrès, restent inconnus.

La communication officielle, à l’heure où l’opinion réclamait des certitudes, au lieu de reconnaître les zones d’ombre de la situation et de les expliquer, s’empêtrait dans des déclarations incohérentes et contradictoires, en se référant continuellement aux scientifiques.

Et les médias assuraient le spectacle : « C’est ainsi, toute catastrophe génère ses héros médiatiques. Il y avait les généraux pendant la guerre du Golfe, on a maintenant les professeurs de médecine  » » rappelait David Pujadas dans le Monde du 30 mars 2020. Mais le temps de la recherche n’est pas celui des médias, encore moins celui du vedettariat pour les « fast-thinkers » de Bourdieu, « qui sont dans le temps court de l’expertise et de la mise en scène et non dans le temps long de la réflexion et de la recherche [3] ».

2 – À UN NIVEAU PLUS GENERAL

Nulle plante ne peut pousser sans un sol fertile. Si l’opinion publique a pu douter d’une certaine parole scientifique, c’est qu’elle était déjà un peu préparée.

Une inculture scientifique entretenue ?

Rien n’arrive par hasard. L’inculture scientifique des Français est reconnue ; pour le cas précis de la Covid-19 : qui connaît la différence entre un taux de morbidité, de mortalité, de létalité, d’incidence ou de prévalence ? Cette inculture est-elle délibérément entretenue ?
On peut le soupçonner en voyant se réduire d’année en année la part de l’enseignement des Sciences de la Vie et de la Terre (le rapport Mathiot de janvier 2018 envisageait de rendre optionnelle la physique et les SVT dès le deuxième semestre de la classe de seconde [4], et en terminale générale il n’y a plus qu’une pour la physique-chimie et 1 h pour les SVT) [5].…

Des intérêts financiers, une déontologie douteuse

La mise au point d’un traitement pour la Covid-19 représente assurément un immense intérêt financier, et dans ce domaine, celui qui annonce le premier des résultats encourageants prend l’avantage, les subventions pleuvent. Et c’est ainsi que deux des plus grandes revues médicales mondiales (The Lancet et le New England Journal of Medicine) durent annoncer la rétractation d’articles dont les résultats étaient fondés sur des données douteuses. On imagine l’effet dévastateur sur l’image des scientifiques dans l’opinion publique, cette affaire mêlant recherche en santé, intérêts financiers et déontologie…

Une ignorance délibérément créée ?

Vous ne pouvez contester certains résultats scientifiques ? Avancez-en d’autres, et créez la controverse ! Cette recette des créationnistes s’applique également dans le domaine de la recherche. Le terme « agnotologie  », inventé en 1992 par Robert PROCTOR, de l’Université de Stanford), désigne l’étude des diverses formes de l’ignorance et, en particulier, de la manière dont la société peut produire délibérément la produire, l’entretenir ou la propager [6] afin de brouiller délibérément les pistes. Les recherches sur les effets nocifs du tabac, ou du glyphosate en sont des exemples emblématiques. A nouveau, le grand public ne sait plus à qui se fier.

Terminons par une note culinaire. Prenez :

  • un fond d’inculture scientifique ;
  • de puissants intérêts financiers et politiques ;
  • des egos prêts à bondir sur n’importe quel plan médiatique ;
  • ajoutez quelques techniques de brouillage délibéré de l’information scientifique ;
  • une situation anxiogène.
    Mélangez, laisser fermenter. En quelques semaines, le menu sera prêt et la confiance en la science sera bien dégradée.
    Servez bien chaud à la table des obscurantistes : ils se régaleront !

[1SCIENCE & RÉPUBLIQUE : « Reconquérir la culture scientifique, un enjeu humaniste », Colloque du Grand Orient de France, le 22 février 2020. »)

[2Gérard Davet et Fabrice Lhomme, Le Monde, 20 mars 2020

[3Pierre Bourdieu. Liber-Raisons d’agir, Paris, 1996

[4Violaine Morin. Le Monde de l’Éducation, le 13 février 2018

[6Mathias Girel, Agnotologie : mode d’emploi, hal.archives-ouvertes.fr › hal-01392971 › document >Agnotologie (consulté août 2020)

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