1. REPARER 

Comment revoir la construction et l’agencement de la ville pour mieux accueillir nos aînés ?

La ville moderne est un espace anonyme. C’est ainsi que le sociologue Max Weber proposait au début du XXe siècle d’en caractériser la forme de vie. Mais c’est une situation qui pèse durement sur les personnes âgées (1). Pour réparer cette carence, il est nécessaire de déployer un bouquet de politiques « multidimensionnelles » (2), mais aussi de prévoir dans la durée les règles d’urbanisme contraignantes (3).

1. UN CONSTAT : UNE VILLE SOUVENT INADAPTEE AU VIEILLISSEMENT

La population française des personnes en retraite augmentant sans cesse grâce aux progrès de la médecine, celles-ci vivent plus longtemps. Les centenaires sont plus de 22 000 en France actuellement et on en attend 270 000 en 2070 selon l’INSEE. Mais ces personnes âgées sont aussi de plus en plus isolées. Avec la perte d’autonomie, ces personnes sont souvent dépourvues de moyens de locomotion individuelle ou à mobilité lente ou réduite.
Depuis la crise sanitaire de 2003 (la canicule) et surtout la crise du Coronavirus, leur fragilité apparait aux yeux de tous. Les structures d’accueil sont régulièrement pointées du doigt pour leur manque de moyens et leur prise en charge défaillante. Mais les villes ne disposent pas de budgets suffisants pour réparer les effets de cette relégation. Adapter la ville est un impératif. Nos sociétés vieillissent, elles devront faire une autre place à nos anciens, surtout lorsqu’ils sont démunis, ce qui implique une politique publique multiforme, qui concerne aussi bien les transports que l’animation ou la vigilance médicale et psychique.

2. UNE POLITIQUE MULTIDIMENSIONNELLE

Retisser le lien avec les familles est une première direction pour cette politique. C’est le moyen le plus rationnel pour développer la mixité intergénérationnelle. Certes, nos ainés n’ont pas toujours de la famille où ils résident, voire n’en ont pas ou plus. C’est pourquoi il importe tant d’aider les associations dont c’est la vocation de tenir compagnie au gens seuls ; ainsi que d’inciter à créer des emplois dans les domaines médicaux et en EHPAD. Un projet fort de mixité intergénérationnelle encouragerait la cohabitation dans le même espace de trois types de populations choisies spécifiquement : les personnes, médicalisées ou non, assistées ou dépendantes ; les personnes âgées autonomes et totalement indépendantes ; les familles mono ou biparentales, jeunes de préférence avec des enfants scolarisés, qui pourraient ainsi être mis en garderie de temps à autre avec l’appui de ces personnes âgées.
Développer et généraliser la cohabitation intergénérationnelle : ce système peut aussi passer par des dispositifs plus ponctuels : celui de sociétés, comme Récipro-Cité (à Lyon), Sweet Home, FADIMAC, COSI, LIS, Homeshare International en donne l’idée. Il consiste pour une personne âgée vivant dans son lieu d’habitation (appartement, maison individuelle…) à louer chez elle, à prix minoré ou modéré, une chambre à un étudiant, apprenti, jeune travailleur, etc. à moindre frais contre quelques petits services : aller faire des courses, aider à l’entretien de la maison… En somme, par une assistance de proximité. Cette cohabitation intergénérationnelle peut s’appuyer sur une surveillance médicale et sur des aides financières. Cela viendrait en contre partie du soulagement des services médicalisés des hôpitaux. Une mesure qui viserait d’abord les personnes sans ressources, sous soins palliatifs ou atteintes de pathologies mineures.
Autre chantier à ouvrir : reconsidérer la nécessité des petits commerces de proximité en centre-ville et dans les banlieues concernées par ces projets spécifiques de cohabitation. Une politique qui pourrait s’accompagner - nos aînés ne conduisent plus ou de moins en moins, de la mise en place mettre en place de transports en communs gratuits et électriques. Ces petites structures autonomes de cohabitations seraient ainsi les foyers de nouveaux services à domicile. Une manière de lutter contre la fracture intergénérationnelle en favorisant le bien-vivre et le bien-vieillir ensemble tout en conservant un espace privé respectueux de la dignité.
Cette dignité passe aussi par l’impératif d’humanisation des conditions du mourir. Alors que la question de la souffrance de fin de vie n’a longtemps suscité que peu d’intérêt dans la médecine, elle est désormais au centre du travail médical. L’activité clinique, fondée de manière prioritaire sur une logique de confort, accorde une attention particulière aux souffrances et aux symptômes. Une expertise nouvelle qui intègre les techniques modernes de lutte contre la douleur. Cependant, cette douleur ne correspond pas simplement à un symptôme ; elle prend une toute autre dimension dans le contexte de la fin de vie. Face à des malades ayant perdu la bataille de la guérison, il convient de prendre en compte la totalité de l’expérience du malade pour promouvoir l’autonomie et la responsabilité de l’individu face à sa mort.

3. DES CHOIX DANS LA DUREE INSCRITS DANS L’URBANISME

Au niveau d’une politique de la ville, cette approche tournée vers la dignité individuelle peut s’accompagner de mesures précises. Mettre en place des réserves foncières dans les règlements d’urbanisme, pour la réalisation de petites unités de vie à échelle humaine, favoriser les préemptions de terrains ou de bâtiments pour des réhabilitations d’habitats favorisant la mixité des générations ou des constructions neuves, limiter au maximum les implantations des EPHAD à l’extérieur de la ville, isolées de la vie sociale communale, mais au contraire favoriser leur localisation en centre urbain. Pour ces orientations, des moyens publics peuvent être mobilisés.
Il en va de même pour les opérateurs privés qui peuvent être incités à favoriser des constructions prévoyant l’évolution future du vieillissement des occupants, dans une situation urbaine favorable et adaptée. On doit condamner les implantations de type « zoning » qui sectorisent les espaces et créent des ghettos de différentes nature, mais au contraire créer une mixité habitat / logement / équipements / commerces / loisirs / santé.
Les découpages fonctionnels de l’architecture « moderne » ont conduit à la création de ghettos sociaux et à la destruction de la ville humaniste. Un ghetto social ne signifie pas nécessairement ghetto transgénérationnel. Certaines cités de banlieue en sont l’exemple, là où vivent des familles sur plusieurs générations, dans les mêmes lieux.
Dans le même temps, le rationalisme poussé à l’extrême a créé les centres commerciaux, les zones artisanales et industrielles, un urbanisme « fonctionnel », au détriment [1] des villes moyennes et des campagnes. Se sont ensuite ajoutés, essentiellement pour les grandes villes et les métropoles, les phénomènes liés à la spéculation immobilière, à l’emploi (localisation et chômage) et simultanément au délitement de la vie familiale et à l’exclusion des personnes âgées plus pauvres. C’est pourquoi la question qui se pose est celle d’une urbanisation transgénérationnelle, une urbanisation où la mixité sociale, familiale et fonctionnelle retrouverait toute sa place.

[1Avec un urbanisme initialement lié à la Charte d’Athènes, ayant ensuite évolué après la « reconstruction » avec les plans de zoning, les ZUP (zones à urbaniser en priorité) dans les années 60-70, les ZAC (zones d’aménagement concerté)

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