1. Urgences et libertés, une conciliation à réexaminer à la lumière de la crise 

Faire prévaloir des principes : aucune interdiction absolue de visiter un malade, aucun interdiction absolue de voir un mort

Parmi les consignes édictées deux ont en particulier paru disproportionnées, par leur généralité et leur inhumanité, celle qui a interdit les visites à un proche, notamment en EHPAD et celle qui a interdit la présence à des obsèques. Ces deux interdits ont été ensuite assouplis ou aménagés (nombre limité de présents aux obsèques, visites par visio-conférence ou dans des locaux spécialement aménagés, …). Il n’empêche : ces deux règles, inspirées par la peur (ou par l’absence de précautions adaptées, dans le cas des décès, conduisant à des réactions de panique des salariés des pompes funèbres) (1), témoignent d’une insuffisante réflexion sur les valeurs fondamentales et les moyens de leur protection (2).

On sait depuis longtemps que certains malades courent des risques en cas de contacts avec des personnes porteuses de germes, de bactéries, de microbes ou de virus. Il en va ainsi des personnes immuno-déprimées, comme les « enfants-bulles ». Mais dans les hôpitaux français, on a élaboré depuis longtemps des protocoles de sécurité sanitaire pour organiser les soins aux patients porteurs de pathologies transmissibles. S’il y a bien un lieu où l’on sait gérer le risque infectieux c’est l’hôpital ! Pourtant, face à la Covid-19 il a été décidé brusquement et partout d’interdire toute visite des proches. Certains malades hospitalisés, certains vieillards en EHPAD, n’ont pas vu leur conjoint, leurs enfants, pendant plus de deux mois. De nombreux syndromes de « glissement », dus à l’impact de cette carence affective, ont été constatés. Des études de retour d’expérience (RETEX) tendent à montrer le caractère disproportionné de l’interdiction générale et absolue.

La peur de la contamination a par ailleurs incité les instances sanitaires à proscrire tout contact, fût-il visuel, des familles avec les défunts. Pendant plusieurs semaines il a été interdit de procéder aux toilettes rituelles. Les médecins-légistes et les comités d’éthiques se sont pourtant rapidement manifestés pour indiquer aux autorités sanitaires qu’avec l’usage de moyens de protection, aucun argument scientifique ne justifiait l’empêchement absolu de voir le cadavre des défunts. Plusieurs études d’ordre psychologique semblent d’ailleurs montrer les difficultés à engager un processus de deuil lorsque le corps du mort n’a pas été vu.

Un enseignement direct doit être retiré, celui de l’importance relative très grande des liens ou du principe du respect dû aux morts. Un enseignement indirect, plus général, porte sur l’utilité de prévoir l’expression des points de vue éthiques, dans la « balance » qui doit être faite nécessairement entre les intérêts et les contraintes.

Premier enseignement, on doit à l’avenir prévoir des protocoles sanitaires pour qu’aucun malade, aucune personne âgée ou très âgée, ne soit privé absolument de la présence sécurisée de ses proches. Le maintien des liens humains devrait être un droit du patient. De même, on doit prévoir des protocoles sanitaires pour qu’un proche ne soit plus privé de la possibilité d’un dernier regard envers le corps de l’être aimé. La possibilité de rites funéraires corporels devrait être un droit des vivants, protégé de manière absolue. Les exceptions à ces deux principes ne devraient être réservées qu’à des cas très particuliers, de contagiosité et de cumul de risques très élevé, et avec des confirmations collectives appropriées.

Deuxième enseignement, à tous les niveaux, national et local, la gestion de ces droits, ou plutôt la définition des mesures dérogatoires devrait associer des spécialistes de santé publique, mais aussi des responsables d’éthique et des représentants des associations d’usagers, capables d’alerter sur les conséquences des mesures envisagées.

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