Introduction
La règle d’hier, le risque d’aujourd’hui, la responsabilité de demain
L’épidémie de coronavirus a créé une situation exceptionnelle, dans une certaine mesure imprévisible (même si le risque théorique de pandémie était identifié), en tout cas imprévue. La société toute entière a dû faire face à ce qu’il est convenu d’appeler les vagues successives du virus.
Une première période, celle de la réaction immédiate, a correspondu à une phase de sidération à laquelle les pouvoirs publics ont répondu par des mesures drastiques de suspension d’un certain nombre de droits et de libertés, découlant des règles du « monde d’avant » (1). Dans un deuxième temps, il a été nécessaire de mettre en œuvre des processus nouveaux pour gérer le risque sanitaire, évaluer la menace et limiter la contagion (2). Dans un troisième temps, il est indispensable de penser à l’avenir et aux potentielles futures nouvelles crises sanitaires, pour inventer un droit mieux adapté aux crises de demain (3).
À chacune de ces phases correspondent des questions distinctes, qui éclairent de manière complémentaire la manière dont le droit est un reflet, mais aussi un outil, au service de solutions adaptatives.
1) LA REGLE D’HIER
La notion « d’urgence sanitaire » n’était pas un concept juridique précis. L’hypothèse d’un confinement n’était prévue par aucune norme juridique. Face à l’épidémie devenue pandémie, les pouvoirs publics ont fait le choix de transgresser un certain nombre de libertés fondamentales, au nom de la prudence sanitaire. Les déplacements ont été interdits, en violation de la liberté d’aller et venir. Les rassemblements ont été interdits, en violation de la liberté de réunion et de manifestation. Les visites aux malades et aux résidents d’EHPAD ont été interdites, en violation des droits des patients et des résidents, les témoignages de respect dus aux morts ont été suspendus.
Sans doute y avait-il des bonnes raisons scientifiques pour y procéder. Mais les procédures requises pour introduire ces dispositifs dérogatoires sont-elles adaptées et suffisantes ? La question qui se pose n’est pas tant, en réalité, de modifier le droit pour y inclure un dispositif d’urgence sanitaire qui anticiperait sur les restrictions de liberté. La question paraît être plutôt de garantir une prévisibilité dans le recours à des limitations autoritaires …
2) LE RISQUE D’AUJOURD’HUI
Les activités humaines étant soit paralysées, soit ralenties, il a fallu trouver des solutions originales pour faire fonctionner les diverses institutions. Certaines d’entre elles pourraient peut-être perdurer. Les institutions publiques (Gouvernement, Parlement, Conseils municipaux etc.), l’École, les Universités, les entreprises, se sont adaptées à des relations humaines dites « en mode dégradé ». Les technologies ont pu suppléer et permettre le maintien de quelques échanges, réunions ou formations. Le monde du travail s’est massivement lancé dans le télétravail, qui restait jusqu’alors marginal. Le monde médical s’est massivement lancé dans la télémédecine qui restait jusqu’alors elle aussi relativement marginale.
Il paraît indispensable de procéder à un bilan des choix effectués, des solutions et des procédures mises en œuvre, en particulier au plan juridique. L’urgence sanitaire a généré de nouveaux risques qu’il nous faut désormais juridiquement encadrer. Plusieurs points sont ici abordés, sans qu’ils soient exhaustifs :
- les nouveaux usages qui se sont développés, avec des interactions ou des procédures en « distanciel », n’ont pas encore fait l’objet d’un encadrement juridique suffisant ;
- si la diminution de la surpopulation carcérale, induite par des consignes, a été possible et ne semble pas avoir posé de problème de principe, ne faut-il pas en tirer des leçons sur le recours aux peines privatives de liberté ?
- le risque « d’ubérisation » du droit du travail semble avoir été accru, alors qu’il n’était déjà pas négligeable.
3) LA RESPONSABILITE DE DEMAIN
Dès le début de la crise sanitaire, les annonces de futurs recours en Justice ont fleuri. Nos contemporains « dégainent » assez rapidement la menace d’un recours juridictionnel, en imaginant que la Justice pourra apporter la lumière sur tel ou tel épisode et surtout qu’elle pourra apporter à chaque victime la satisfaction compensatoire que celle-ci espère. Les juristes savent que ces espoirs sont souvent illusoires. Il n’empêche que cette crise du Coronavirus doit nous permettre d’anticiper sur d’autres crises sanitaires pour réfléchir à inventer les outils juridiques de prévention des catastrophes (accidents collectifs, événements naturels, risque nucléaire etc.). Ne conviendrait-il pas par exemple envisager d’accorder de nouveaux droits aux entités naturelles ? Le risque est celui d’une obsolescence du droit face aux défis que soulève le monde d’après.
On doit également réfléchir aux fondements des jugements a posteriori : faut-il inventer de nouvelles infractions, de nouvelles juridictions ?
Comment évaluer la responsabilité des dirigeants politiques sans tomber dans le populisme et le lynchage ?
Peut-être nous appartient-il de dessiner pour l’avenir une distinction plus claire et plus nette entre la responsabilité individuelle, qui relèverait du droit commun, et des responsabilités collectives (Gouvernement, Haute administration, entreprises) qui relèveraient d’une responsabilité politique à créer ?
C’est ainsi la responsabilité de demain qu’il nous faut sinon inventer du moins adapter, à la lumière de cette expérience inédite.
Cette crise est également l’occasion d’introduire des concepts et des notions juridiques renouvelées : entités naturelles ou « parties prenantes ».