II - PROMOUVOIR DES MODALITES 

Le revenu minimum d’existence

La crise a accéléré la prise de conscience des insuffisances de notre système français de protection sociale, complexe et souvent d’autant plus injuste qu’un nombre significatif de personnes vulnérables, bénéficiaires sur le plan juridique, n’ont pas recours aux aides de manière effective, en raison de la complexité des règles et des justifications à produire. Dans ce contexte, l’idée d’un revenu minimum universel gagne du terrain.

En réalité, l’idée d’attribuer à chaque être humain un revenu est évoquée depuis des décennies sous de multiples appellations : revenu d’existence, revenu universel, revenu de base… Des variantes sensibles existent, dans les modalités proposées et le niveau de protection envisagé. Il paraît donc indispensable de clarifier l’histoire de cette notion (1) et de préciser les objectifs poursuivis (2) pour esquisser quelques modalités de mise en place possible d’un tel revenu (3).

1. UNE IDEE ANCIENNE, QUI S’EST IMPOSEE DANS LES DEBATS RECENTS

Cette idée vient de loin. On en trouve la première expression en 1516, dans l’Utopie, de Thomas More. Plus tard, Thomas Paine observera dans son traité sur « La justice agraire » (1795) que la terre est une propriété en indivision de la race humaine et en conclut que : « Chaque propriétaire de terre cultivée, doit à la communauté une redevance foncière pour la terre qu’il détient. », redevance qui sera redistribuée à chacun. Les modalités envisagées ont évolué ultérieurement, mais l’essentiel avait été dit : un revenu d’existence a pour origine la richesse commune de l’humanité, c’est une œuvre de justice. À ce titre il doit être versé sans condition ni contrepartie, par simple souci d’équité. Il est dû à chacun, qui en fera librement usage en toute responsabilité.

L’idée n’a pas disparu au cours des deux siècles suivants mais elle n’était pas considérée comme une perspective crédible, dans le contexte d’un « paradigme » industrialo-financier prédominant. Elle a retrouvé une vigueur nouvelle, au point d’être reprise à titre d’expérimentation par plusieurs collectivités à l’étranger et d’être affichée comme une piste de réforme en France. Les crises économiques et sociales des années récentes (2008 notamment) puis la crise induite par la pandémie de la Covid-19, ont mis en évidence en effet la fragilité économique et sociale de nos sociétés et la nécessité de dispositifs de solidarité robustes et efficaces, comme le revenu minimum d’existence.

2. UNE REPONSE AUX DEFIS SOCIAUX

Le revenu d’existence apparaît comme une réponse aux défis du XXIe siècle :
* aux inégalités ressenties comme intolérables face à l’augmentation globale de la richesse ;
* aux pathologies sociales : précarité, chômage, sous scolarisation… ;
* à la nécessité d’un « changement de paradigme », en raison de la prise de conscience qu’une croissance illimitée est impossible dans un monde aux ressources limitées ;
* à la nécessité de rendre possible en conséquence l’émergence de nouvelles formes d’économie (participative, bénévolat, développement d’un auto-entrepreneuriat favorisé par les technologies numériques) ;
* à l’évolution corrélative du statut de salarié qui remet en cause les modes actuels de financement de nos systèmes sociaux.

Face à ces défis, qui apparaissent comme autant d’impasses, le revenu minimum d’existence recèle de nouvelles espérances. Comme l’avait bien montré notre regretté Yoland Bresson, la richesse dont nous bénéficions s’enracine dans l’accumulation d’intelligence et de réalisations de tous ceux qui nous ont précédés. Chacun de nous a le droit de profiter de ce bien commun, en vivant dans la dignité, sans être considéré comme un assisté plutôt que comme un usufruitier. Cette construction du bien commun s’oppose à notre mode de consommation prédateur actuel. Elle favorise une autonomie solidaire : autonomie pas indépendance, car si l’une favorise la coopération féconde, l’autre porte en germe la compétition délétère.

Un revenu minimum favorise la créativité individuelle qui peut profiter à tous. Aujourd’hui émerge une génération qui a pour envie de « réussir sa vie », plutôt que de la perdre à vouloir la gagner. Puisqu’il est inconditionnel, le revenu d’existence permet la réalisation de projets de vie différents, atypiques, originaux. Mais ces projets peuvent se révéler féconds, permettre d’inventer de nouveaux liens sociaux, des façonneurs d’art de vivre, dont tout le monde à terme profitera. En effet, l’inévitable question de l’opposition entre le revenu d’existence et la valeur travail (le revenu universel rendrait les gens fainéants) paraît fausse. Toutes les études menées après des tests de mise en place, dans tel ou tel pays ou ville, montrent plutôt que c’est l’inverse qui se produit.

La révolution numérique a déjà commencé à bouleverser le monde du travail. En outre, la crise récente a mis en lumière des métiers essentiels au service des populations et de la société, qui ne bénéficient pas d’une valorisation à hauteur de leur utilité sociale. Le revenu d’existence, qui constitue un socle auquel s’ajoute une rémunération complémentaire, devrait modifier mécaniquement la hiérarchie des salaires au bénéfice de ces métiers. Les activités bénévoles, elles aussi essentielles au fonctionnement de nos sociétés, seraient également favorisées.

Certes, le revenu d’existence n’est pas une solution miracle à tous les maux de la société. L’exclusion est multidimensionnelle, au-delà des revenus : analphabétisme, maladie, isolement… De nombreux chantiers requièrent nos efforts… Mais le revenu minimum d’existence constituerait à la fois le signe et le levier d’une nouvelle solidarité.

3. UNE PERSPECTIVE DEVENUE CREDIBLE

Face à la crise sanitaire, il a fallu, dans l’urgence et l’improvisation, mettre en place des aides pour secourir les citoyens frappés par les conséquences économiques de la crise sanitaire. Or si ces mesures prises dans la précipitation étaient nécessaires, leur caractère provisoire est générateur d’inquiétude. On ajoute béquilles et rustines à un système dont la complexité ne permet plus ni d’assurer l’équité ni de rassurer les citoyens. En outre et surtout, leur coût global est supérieur au coût estimé souvent reproché au revenu d’existence, alors même qu’on n’est pas sûr d’avoir évité « les trous dans la raquette ».

Le revenu minimum d’existence est la réponse pertinente aux inadaptations de notre système actuel.
Garanti individuellement, à chacun, pour la vie entière, il apaise les inquiétudes en donnant de la visibilité et donc une sécurité sociale effective. Inconditionnel, il rend inutile un système de contrôle inquisitorial, et dégage les bénéficiaires du sentiment de quémander. Automatique, il permet de réagir dans des conditions prévisibles et maîtrisées aux accidents individuels et collectifs.

Les avis peuvent diverger sur le caractère plus ou moins disruptif du revenu d’existence, dans son montant (les propositions les plus courantes varient de 500 à 800 euros par mois) et son mode de financement. De nombreuses études déjà disponibles montrent que le financement n’est pas l’obstacle principal [1]/. Il faut une volonté politique. Certes, un cadre international, notamment européen, serait de nature à donner le souffle nécessaire au déploiement de cette volonté.

Or, les outils sont désormais disponibles pour mettre en place le revenu minimum d’existence. Peut-être pas dans sa forme définitive, idéale, mais de façon à la fois significative et symbolique. On peut s’appuyer en particulier sur le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu. Il suffirait de le combiner avec un « impôt négatif », pour les citoyens dont les revenus sont inférieurs au revenu minimum d’existence, pour qu’en temps réel celui-ci soit versé ou complété automatiquement. L’Association pour l’instauration du revenu d’existence (AIRE) propose d’ailleurs un tel système sous l’appellation de « socle citoyen [2]
 ».

[1Voir le site du MFRB : https://www.revenudebase.info/decouvrir

haut de page