II - PROMOUVOIR DES MODALITES
Le service civique
Depuis la suppression du « service militaire », ou « service national obligatoire », deux formes de substitut partiel ont été créées : le service national universel (SNU), d’une part, et le service civique d’autre part. Un débat a parfois opposé les partisans de ces deux formes, l’une qui demeure reliée à des ressources militaires et qui vise à apporter certaines connaissances ou réflexes, utiles en cas de mobilisation ; l’autre qui se situe clairement dans un environnement civil.et consiste à proposer une période d’engagement au service de grandes causes solidaires. En réalité, on peut tout à fait considérer ces deux formes comme complémentaires, le développement de l’une et de l’autre paraissant indispensable dans une société qui est allée trop loin dans le sens de l’individualisme et de l’oubli des causes de sécurité collective, mais aussi de solidarité. C’est d’ailleurs le sens des réformes et des annonces récentes : le SNU est en phase d’expérimentation, avec un horizon de généralisation programmé pour 2026 ; le service civique, quant à lui, fait partie des priorités affichées par le Gouvernement dans le plan de relance de septembre 2020.
La question du service national universel est abordée dans une autre thématique : il n’est donc question ici que de cette deuxième forme, sans que le détail des mesures soit encore connu. Mais il paraît possible de dessiner ici une perspective, qui relie ce chantier, aujourd’hui encore trop figé dans une logique gestionnaire (1), à une vision de l’idéal et de la solidarité, et donc intègre une dimension internationale et surtout d’orientation (2).
1. UNE APPROCHE JUSQUE-LA TROP GESTIONNAIRE
On peut rappeler les caractéristiques du service civique : selon le site officiel du Gouvernement, « c’est un engagement volontaire au service de l’intérêt général, ouvert à tous les jeunes de 16 à 25 ans, sans condition de diplôme (seuls comptent les savoirs-être et la motivation. Indemnisé un peu moins de 600 € net par mois, ce service peut être effectué dans neuf grands domaines d’intérêt général, très larges [1] : auprès d’associations, de collectivités territoriales (mairies, départements ou régions) ou d’établissements publics (musées, collèges, lycées…), sur une période de 6 à 12 mois en France ou à l’étranger, pour une mission d’au moins 24h par semaine. Un engagement de ce Service Civique n’est pas incompatible avec une poursuite d’études ou un emploi à temps partiel ».
Créé en 2010, le service civique a connu un démarrage assez lent. En 2014, il n’avait été choisi que par 35 000 jeunes. Depuis lors, le rythme s’est accéléré : on comptait selon un rapport de la Cour des comptes [2] 135 000 jeunes en service civique, en 2017, l’objectif étant de 150 000 (à rapporter à une « génération » de presque 800 000 jeunes par an). Même en progression, cette forme d’expérience de l’engagement est donc restée relativement limitée : bien évidemment par rapport au creuset générationnel qu’était le service militaire (service national actif) ; mais aussi par rapport à nombre de modèles étrangers, notamment aux États Unis, où ce type de volontariat, très diversifié constitue une étape fréquente dans la formation des jeunes (avec la pratique induite d’une « césure » dans les études).
La visibilité de cette forme d’engagement paraissait en France assez réduite. Le développement numérique s’est effectué grâce à un recours croissant au service civique dans les services publics, mais semble-t-il au détriment de la qualité des fonctions assurées. Selon l’esprit du dispositif, celles-ci doivent ne pas se substituer à des fonctions permanentes et rémunérées (des règles analogues sont posées pour les diverses formes de stages, sans toujours être respectées, dans les deux cas). Une autre condition est encore plus difficile à garantir : que la mission corresponde à un engagement annoncé individuel véritable, concrétisé par un contrat individualisé. Selon les observations faites dans les rapports précités, l’individualisation, supposée permettre de traduire ou de révéler un projet fort, d’être le tremplin vers une vocation, n’était qu’assez peu effective. Un autre volet du « contrat » moral supposé aller dans ce sens, la désignation d’un tuteur, semblait de même être peu fréquente et n’apporter qu’un soutien assez lointain.
Le risque est donc d’encourager une forme de « trompe-l’œil », l’engagement qui devrait être à la racine d’une expérience de formation et qui devrait valoir dans bien des cas « deuxième chance » se trouvant en guise de « clause » de routine. Si c’est le cas, le dispositif peut apparaître comme une fausse continuité par rapport à ce qu’il y avait d’engagement potentiel dans le « service militaire », avec un encadrement et un soutien beaucoup plus réduit.
En réalité, il est difficile d’apprécier l’apport effectif de ce service civique, dans la mesure où malgré les engagements initiaux, aucune évaluation de l’apport de cette période pour les jeunes n’a été réalisée, ni même aucun recueil des appréciations portées par les jeunes sur cette période.
2. FAIRE DU SERVICE CIVIQUE UNE VITRINE DE L’ENGAGEMENT REPUBLICAIN
Il est difficile, c’est évident, de concilier le « sur mesure » avec les grands nombres. C’est pourtant ce que le service civique devrait chercher à faire, s’il est conforme à sa promesse d’offrir un cadre d’engagement épanouissant à chaque jeune, tout en augmentant le nombre des jeunes impliqués.
Comme parvenir à résoudre cette contradiction apparente, ou du moins à en atténuer l’acuité ? On devrait en premier lieu faire de l’entrée dans le service civique l’occasion d’un conseil en orientation. Malgré diverses tentatives, l’orientation professionnelle demeure en France peu déployée au sein des établissements scolaires, peu effective donc alors même que les jeunes sont très inquiets de leur avenir et souvent très mal informé de la diversité des métiers. Un conseil en orientation pourrait ainsi figurer parmi les contreparties que pourrait apporter le service public, en échange d’un engagement en temps.
Deuxième progrès, le service civique devrait s’engager dans des partenariats construits et de longue durée avec les autres formes d’engagement volontaires qui existent, dans les pays voisins ou au plan international. De multiples cadres d’engagement volontaire existent en effet, très mal connus en France, comme les « jeunes volontaires de l’ONU (affectés auprès de ses diverses organisations spécialisées) ou le « service volontaire européen », organisé en lien avec le programme Erasmus. La capacité du service civique d’aiguiller vers ces formes prestigieuses et attractives de volontariat serait un levier pour mieux faire connaître et reconnaître le service civique lui-même, en l’insérant dans un réseau d’institutions analogues et en favorisant une mobilité dont les jeunes sont demandeurs (comme le montre le succès d’Erasmus).
Dernier progrès nécessaire, une souplesse plus grande des conditions, notamment des règles, notamment pour ce qui concerne le niveau de rémunération, qui devrait dépendre plus étroitement du niveau d’engagement et du volume d’heures fournies. Là encore, même si ce n’est pas aisé, il convient de passer d’une logique uniforme de « guichet » à une logique de contrat individualisé, qui seule peut traduire la dimension d’engagement et de recherche de vocation, que le service civique doit avoir pour mission de révéler.
[1] Culture et loisirs, développement international et action humanitaire, éducation pour tous, environnement, intervention d’urgence en cas de crise, mémoire et citoyenneté, santé, solidarité, sport.
[2] La Cour des comptes a consacré deux insertions à ce thème : au rapport annuel de 2014, puis sous la forme d’un suivi, à celui de 2018.