2. De nouveaux équilibres à encadrer juridiquement 

Le télétravail, la télémédecine, le télé-enseignement : des équilibres à retrouver

La crise sanitaire a permis de comprendre avec quelle rapidité le numérique bouleverse nos modes de vie et de communication. Nos pratiques sociales sont en pleine mutation. Pour autant, les conséquences juridiques de ce phénomène, la manière dont les catégories de notre droit s’en sont accommodées, doivent être encore identifiées, analysées et discutées, plus de trente-cinq ans après l’adoption de la loi du 6 janvier 1978 dite « Informatique et liberté ».

Les effets sont contradictoires. D’une part, elles catalysent leur exercice : elles encouragent la liberté d’expression, facilitent l’accès à l’information et ouvrent à la liberté d’entreprendre des voies nouvelles d’expansion. D’autre part, elles synthétisent des risques inédits : elles favorisent des discriminations illégales, permettent des atteintes graves à la vie privée et servent de points d’appui à des activités illicites. Cette ambivalence s’est renforcée avec le traitement des données de masse par les outils de l’intelligence artificielle (aujourd’hui avec l’objectif d’un suivi des gens contaminés…). A l’ère des réseaux sociaux et du profilage tous azimuts des comportements, un saut qualitatif a été franchi dans la collecte et le traitement des données numériques.

1. DES DROITS AFFIRMES ET DEFINIS DE MANIERE PLUS FORTE

Face à cette ambivalence, la saisie croissante du numérique par le droit est à la fois une réalité et une nécessité. Le RGPD (décret qui transpose à la France des règles européenne de protection des données) seul ne suffira pas : le droit fondamental à la protection des données personnelles n’est pas l’unique enjeu. C’est tout le cadre éthique et juridique de la vie en société qui est questionné par les « Big data ».

D’une part, le catalogue des droits fondamentaux doit être enrichi par des règles pratiques, susceptibles de garantir l’effectivité de ces droits et leur emprise sur les technologies numériques. Dans le domaine de la protection des données personnelles, le principe d’un consentement éclairé, mais aussi le droit de rectification ou d’opposition ou encore le principe de proportionnalité dans la collecte et la conservation des données doivent être nettement réaffirmés. Mais les modalités de leur mise en œuvre doivent être précisées et améliorées.

D’autre part, le fonctionnement des réseaux et le traitement des données numériques doivent être davantage encadrés, alors que le pouvoir économique des opérateurs et des plateformes ne cesse de se renforcer.

Enfin, les oppositions traditionnelles du droit public, entre liberté et sécurité, se sont intensifiées. Une conciliation plus exigeante doit être opérée entre liberté d’expression et protection de la vie privée, sûreté et lutte contre la criminalité, liberté d’entreprendre et respect des règles de concurrence. L’intervention publique doit accroître la capacité de toutes personnes à agir pour la défense de leurs droits (et éviter la fracture numérique qui vient souvent doubler la fracture sociale).

Tous ces progrès doivent être poursuivis de front. Il est fondamental que le pays ¬héritier des Lumières et de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen donne l’impulsion en matière de droits et libertés fondamentaux à l’ère du numérique.

2. DES USAGES A ENCADRER

La crise de la Covid-19 a révélé de manière aiguë deux tendances déjà latentes dans l’évolution des modes de gouvernance : la collection et le traitement des « big data » relatifs à des comportements individuels ; et la formation de prédictions sur la manière dont ces comportements peuvent être guidés par le design d’architectures de choix adaptées aux circonstances. C’est le sens et la portée, de la conjonction entre ces deux tendances qu’il nous faut pointer, ou plutôt l’absence actuelle de conceptualisation et d’anticipation de leurs effets conjugués.

En soi, il ne s’agit certes que de techniques et nous ne réprouvons en rien l’usage de techniques, ni même nécessairement de ces techniques, tant que le sens et la portée en sont clarifiés, en vue d’améliorer les modes de gouvernance, que ce soit en temps de crise ou en temps normal. Mais une technique de gouvernance ne s’accorde pas a priori et sans plus de précaution théorique avec la légitimité d’un pouvoir institué et constitué sur des bases normatives – lesquelles doivent encadrer, limiter, et conférer une signification publiquement acceptable à sa nature et à son usage.
Des enjeux spécifiques sont apparus dans la gestion de la crise de la Covid-19 avec l’usage et la technique de la collecte des données massives. La propagation du virus a provoqué des perturbations considérables dans tous les domaines de la vie, d’une explosion du travail à distance aux mesures de confinement généralisées, qui comprennent souvent des mesures de quarantaine ou de confinement. Un nombre significatif de pays ont même adopté des mesures plus « offensives » pour lutter contre la Covid-19, notamment en utilisant des données individuelles pour suivre les citoyens infectés.

Il est rapidement ainsi devenu évident que l’une des plus grandes ressources » » du moment était constituée par les données personnelles et, en particulier, par les données de localisation. Par exemple, Taïwan a institué une politique de suivi individuel particulièrement contraignante. Semblable à un bracelet de cheville, le téléphone transmet les données de localisation de l’utilisateur aux autorités locales et à la police. Dans l’Union européenne, le règlement général sur la protection des données (« RGPD ») limite ce que les entreprises peuvent et ne peuvent pas faire avec les données de leurs utilisateurs. Il considère certaines caractéristiques comme des « données personnelles » : ainsi pour l’emplacement, les données démographiques, le nom, l’adresse… traduisant ainsi une préoccupation croissante en matière de confidentialité des métadonnées. Aux États-Unis, les préoccupations découlent de la façon dont les données personnelles sont traitées, mais il n’y a pas de législation unique et unifiée sur la protection des données. La jurisprudence et les lois des différents États constituent une mosaïque de règles qu’une application de suivi devrait respecter pour être applicable à l’échelle du pays. Partout dans le monde, la question consiste à savoir dans quelle mesure les gens sont prêts à renoncer à une partie de la vie privée dont ils disposent via leurs données personnelles afin de lutter efficacement contre la Covid-19.

La France avait déjà commencé à développer, de manière générale plus timidement qu’à l’étranger, le recours à des formes de dématérialisation des échanges, dans le travail tertiaire, l’enseignement ou les consultations médicales. Bien entendu, les usages dans ces trois domaines sont très différents, le degré de recours à des outils « en distanciel » très variable selon les secteurs ou même les initiatives locales. On peut trouver cependant un point commun, le besoin d’un encadrement juridique, accompagnant le développement des usages.

S’agissant par exemple des diplômes acquis par « e-learning », la question de leur validation au même titre que des diplômes acquis en « présentiel » pose des problèmes d’authentification du postulant et de prévention des fraudes à l’identité (de même que de prévention du recours à des aides présents lors des épreuves). La question n’est plus seulement théorique : en faculté de médecine, pendant la pandémie, de nombreux examens ont été assurés en distanciel : selon les étudiants, seul le rythme des réponses exigées pouvait garantir l’absence de recours à des comparses. Mais ce type d’argumentaire trouve vite ses limites, dès qu’on sort des exercices intensifs de mémoire.

Dans les domaines des procédures ou de la santé, de même qu’il y a eu des plans de formation des Enseignants et que les élèves bénéficient également dans les programmes scolaires de formation à la pratique de ces outils, il faudrait que les adultes soient formés et puissent avoir accès à des équipements collectifs, servant de « filet de sécurité » pour d’éventuelles défaillances des équipements privés. Des salles locales devraient bénéficier de matériels informatiques connectés avec la présence d’un assistant pour aider ceux qui auraient des difficultés de quelque ordre que ce soit.

En outre, un recours accru et même généralisé à ces outils suppose une couverture totale et efficace de « l’archipel France » au niveau du numérique. Cela suppose que l’État contraigne les Fournisseurs d’accès à Internet (FAI) à fournir un service sans faille.

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