I - REAFFIRMER LES PRINCIPES 

Mieux faire respecter le principe de laïcité

Le virus qui frappe l’univers humain depuis le printemps 2020 nous contraint à nous poser des questions essentielles : qui et que sommes-nous devenus aujourd’hui ? Sommes-nous responsables de ce qui advient à un titre ou à un autre ? Pourquoi l’infiniment petit frappe-t-il de plein fouet le monde des hommes : serait-ce pour qu’à l’image du déluge, au temps de Noé, à l’occasion d’un enfermement dans l’arche avec les siens, il se reconfigure, recouvre sens et finalité ?
Le virus pourrait-il être vecteur de sens et de raison régénérés ?

Face à ce questionnement métaphysique, la pandémie de la Covid-19 a dévoilé au grand jour certains aspects de l’instrumentalisation du langage religieux, au service de la politique. Malgré la situation et l’impréparation des pouvoirs publics face à cet événement inédit mais pas forcément imprévisible, certains dirigeants n’ont pas hésité à recourir au langage religieux pour tenter de conjurer la pandémie et ses conséquences, du moins d’endiguer les critiques des citoyens insatisfaits de la gestion de la crise : comme autant de dérivatifs (1) ?
Contre cette tentation, qui conduit à miner le principe de laïcité (2), nous devons opposer notre exigence rigoureuse de neutralité (3).

1. UNE SERIE DE DERIVATIFS ?

La maladie de la Covid-19 a montré la précarité de certains emplois qui s’avéraient pourtant les plus indispensables pour monter au front contre la maladie. Elle a révélé également le déclin de certains services publics, faute de moyens suffisants depuis de nombreuses années, ou le sans-gêne de certains profiteurs de l’économie de pénurie. Foin de la fraternité ou de la solidarité ! Comme pour détourner de ces constats, on a usé d’argumentaires indignes d’un véritable débat démocratique.

La première réponse a été l’infantilisation : il a été dit, ainsi, que « les vacances d’été dépendront des efforts des Français ! » On croyait le chantage banni des méthodes éducatives acceptables. Or à l’occasion de la crise du coronavirus, les dirigeants n’ont pas de scrupules à s’y adonner. Depuis le début de la crise du coronavirus, les pratiques d’infantilisation se sont multipliées, de la part de l’État, entre l’attestation dérogatoire et les fables du gouvernement sur les masques, on se sentirait presque de retour sur les bancs de l’école.

Une autre réponse courante a été d’en appeler à l’émotion, en évoquant la responsabilité des humains face à une nature qui se vengerait d’être maltraitée (ainsi Jean Viard, directeur de recherche associé au CNRS, a déclaré sur la radio Europe 1, le 13 avril 2020, qu’on « n’a peut-être pas respecté la nature comme elle le méritait : est-elle est train de se révolter ? ». Faut-il rappeler que la nature n’est pas une personne et que les lois naturelles s’expliquent, quand bien même il n’y aurait aucun esprit pour les découvrir ?).

La pandémie constitue un effet d’aubaine pour une cabale de dévots. Les grandes prières, « monstrations » de reliques et rogations en tous genres ne sont pas loin de refleurir en notre République laïque. Nous ne sommes pas passés loin des phénomènes longuement étudiés par le célèbre historien des Grandes Peurs, Jean Delumeau ou popularisés dans ce célèbre roman d’Albert Camus, la Peste, souvent relu pendant la période de confinement !

En tant que citoyens, nous devons privilégier la modestie, douter de nous-mêmes, car nous sommes sujet à l’erreur, mais surtout refuser de nous en remettre à je ne sais quelle triste et jalouse puissante extérieure surplombante. C’est ce doute audacieux et raisonné qui, toujours, rend possibles le savoir et la libération qui en dépend. Jenner et Pasteur, pour ne prendre que ces deux exemples bien connus de tous, ont fait progresser les connaissances et nos pratiques, en matière de maladies infectieuses.

2. DES ENTORSES AU PRINCIPE DE LA LAÏCITE ?

Cette crise inédite du XXIe siècle nous appelle certes à une leçon de sagesse. Religieux et non religieux, croyants et non croyants ont à s’examiner, à se reprendre, se redresser tant qu’ils le peuvent, tisser une autre toile que celle qui les a menés là où ils ont, à proximité du néant, dans une culture de mort. Mais il convient d’éviter aussi le risque d’instrumentalisation

A ce stade, il importe de mesurer que l’état d’urgence sanitaire ne s’en est pas pris plus aux rassemblements cultuels qu’à tous les autres. La situation d’urgence appelait des mesures particulières, d’exception (qui ne doivent pas se transposer dans l’état de droit ordinaire), restreignant notamment certaines libertés. On a pu certes critiquer ces restrictions, s’interroger sur leur bien-fondé, en demander l’assouplissement, mais cette critique ne pouvait pas prendre la forme d’une revendication d’exception comme ont cru devoir le faire certains responsables religieux, protestant contre la décision d’interdiction de rassemblements et réclamant pour eux seuls l’exemption de cette interdiction, au nom du salut des âmes… !
La campagne savamment orchestrée par l’Église catholique se résume au reproche de matérialisme, de méconnaissance de l’anthropologie élémentaire, laquelle, selon l’archevêque de Paris, requiert la pratique d’une religion parce que « c’est vital ». Selon Mgr Aupetit : « aller à la messe ce n’est pas la même chose que d’aller au cinéma ». Or, dans sa forme, la messe est un rassemblement comme le cinéma, le concert … ou la tenue maçonnique et ne saurait donc faire exception. Une attention spéciale en fonction de son contenu et de son objet spécifique, qui la placerait en position d’exception, mettrait la puissance publique sur la voie de la reconnaissance d’une utilité spirituelle.

Contrairement à ces principes de neutralité exigeante, le Gouvernement a réservé un traitement privilégié aux cultes dans le dispositif national de déconfinement, en avançant, pour leurs rassemblements seuls, la date d’effet initiale du 11 juin au 2 juin, et ce en l’absence de toute justification véritable de santé publique. Saisi en référé, le Conseil d’État avait ordonné le 18 mai au Premier ministre de « lever l’interdiction générale et absolue due réunion dans les lieux de culte et d’édicter à sa place des mesures strictement proportionnées aux risques sanitaires et appropriées à ce début de confinement ». La liberté de culte a donc été traitée de manière exceptionnelle.

Ces dérives « concordataires » présentent au moins deux écueils : déclencher une concurrence entre instances autoproclamées se réclamant d’une telle utilité spirituelle (sectes comprises !) ; et confier à l’association politique la mission du « soin des âmes », comme le dit Locke. Or, en paraphrasant ce dernier, l’association politique doit assurer la sauvegarde des droits et biens civils, en l’occurrence, la « santé publique ». Et comme le dit si justement l’article 1er de la loi de 1905, portant séparation des Églises et de l’État, « la République assure la liberté de conscience », non la liberté religieuse…

Un dernier avatar de l’instrumentalisation dans la gestion de crise a été l’apparition du concept de « résilience » dans sa version administrative. Ainsi est né le projet d’un Conseil national de la résilience, sans doute pour faire écho au même acronyme CNR (Conseil national de la résistance), dont l’idée a été diffusée à l’issue de deux réunions à l’Élysée des représentants des cultes et des obédiences maçonniques. Si comparaison n’est pas raison, il y a surtout une vraie usurpation de titre et de fonctions, pour des raccourcis historiques hasardeux. Utilisé par les psychologues et les écologistes pour désigner la capacité à surmonter un choc extérieur, le terme est en train d’être récupéré à tort et à travers, jusqu’à nous encourager à « retrouver » la « résilience » qui peut nous permettre de « faire face aux crises à venir ».

Pourtant, dans le sillage de catastrophes comme des ouragans, la résilience a parfois servi d’étendard à ceux qui veulent que “tout change sans que rien ne change”, voire à ceux qui espèrent tirer un profit de la crise... », souligne le géographe américain Kevin Grove, auteur d’un livre non résolument traduit (3) sur la généalogie du concept. Aux États-Unis, après le 11-Septembre, la notion a servi d’enrobage marketing à divers dispositifs peu reluisants. La facilité avec laquelle la « résilience » a été adoptée par différents milieux a surpris beaucoup de militants, qui se sont demandé s’il n’y avait pas là une ruse de la raison « néolibérale ». De fait, le concept de résilience est réapparu officiellement dans ces réunions rassemblant « en même temps » religions et militants laïques, entre représentants de religions et obédiences maçonniques, dans une quasi-inversion de la hiérarchie des normes républicaines, contraire à la lettre et à l’esprit de la loi de 1905.

La première concertation du 23 mars avait même abouti à faire prendre en charge « le soin pastoral » par l’État, « en même temps » que le soin médical dans le cadre de la pandémie, au moyen d’un numéro vert, comme l’avait précisé un communiqué du Ministère de l’Intérieur du 9 avril. L’entretien du 21 avril, s’il a permis d’évoquer la réouverture des lieux de culte sous conditions, a continué d’installer dans l’opinion la reconnaissance de fait de certains cultes, ceux qui étaient invités, qui plus est, pour s’occuper de la santé : des âmes ou des corps ?

2. LE RAPPEL INDISPENSABLE DES DISPOSITIFS DEJA EXISTANTS

Avant de créer une nouvelle instance, fût-elle rattachée directement à la présidence de la République, il importe de faire un état des lieux. Or existe déjà sous forme d’association de la loi de 1901 un « Haut Comité français pour la résilience nationale (ou France Résilience) » qui prépare les organisations aux situations d’exception, en animant un réseau de professionnels de la prévention et de la gestion de crises face aux risques et aux menaces majeurs. Et, structure peu connue, le Centre national de ressources et de résilience, CNRR, a déjà été créé comme organisme interministériel en 2019, porté par la délégation interministérielle d’aide aux victimes…

En réalité, les populations dans leur ensemble ont partout besoin de services publics, outils de l’égalité, d’un système de santé gratuit ayant les moyens matériels et humains de fonctionner. Ce n’est pas une question de charité comme le laisserait entendre la formule de « l’État providence » mais d’efficacité, de justice, d’égalité et de solidarité. Au cours du temps, c’est contre leur gré que certaines religions ont intégré les avancées et connaissances scientifiques et ont dû reconnaître l’autonomie du pouvoir politique. Aujourd’hui, même si les exemples d’irresponsabilité sont légion, la plupart acceptent les impératifs sanitaires liés а la crise de la Covid-19. Or ces évolutions sont la résultante des luttes émancipatrices menées par les laïques pour la séparation du politique et du religieux, pour le refus des dogmes et pour la liberté de conscience, ces principes étant nécessaires à l’exercice de la liberté et de la démocratie. Ne faisons pas machine arrière ! Ne confinons pas la laïcité !

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