Préambule

L’épidémie de la Covid-19, apparue au cours du printemps 2020, a mis en lumière la nécessité de changements, d’adaptations et d’améliorations d’un système de santé dont on chantait les louanges depuis des années. On s’endormait sur nos lauriers. Le réveil a été brutal. Il a donné l’impression d’une impréparation, de manques dans presque tous les domaines, de structures inadaptées voire inefficaces et engendrant, entre elles, des conflits. Il est légitime de proposer une sorte de refonte, après une analyse fine et dénuée d’idées préconçues.
L’épidémie sert donc d’aiguillon pour un débat qui doit remonter jusqu’aux principes : solidarité et laïcité, les deux notions liées, car il n’y a pas de laïcité sans solidarité. Cette assertion peut être discutée par certains qui limitent le concept à la loi de 1905 et ne l’envisagent que son aspect politique voire juridique. Mais il faut dire que la liberté absolue de penser ne peut se concevoir que si l’on a la liberté d’exister et si l’on est « dans un état de complet bien-être physique, mental et social qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité », selon la définition de la santé donnée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans sa Constitution de 1946, qui rajoute qu’elle représente l’un des droits fondamentaux de l’Être Humain. Bâtir une politique de santé, c’est viser un environnement commun où chacun et tous peuvent s’exprimer, se réaliser, se protéger.
Qu’une politique de santé soit nécessairement fondée également sur la solidarité, c’est plus évident, mais cela ne va pas de soi non plus. La longue construction des politiques de santé s’est faite contre une certaine conception de la charité [1], qui fait de l’être humain un objet quand la solidarité lui donne l’entièreté de son indépendance et de sa dignité, celle d’un sujet qui a des droits. Cette construction s’est faite aussi contre la logique des assurances lucratives, au nom de l’idée généreuse que l’accès à la santé et donc à des soins de qualité doit être largement partagé, au-delà des seuls impératifs de la santé publique et de la prophylaxie.
Malgré les déclarations ou les intentions, ces convictions ne vont plus de soi. Le rejet de toute forme de protection sociale universelle [2], aux États-Unis paraît bien traduire le refus ancien, inavoué, de « faire communauté » entre Blancs et Noirs. La santé n’est qu’un des lieux de ce refus, mais c’est aussi un des plus lourds de conséquences : pour une dépense globale de santé presque deux fois supérieure à celle des pays européens, les États-Unis enregistrent des résultats proches de ceux des pays en développement, s’agissant notamment du taux de mortalité infantile ou de l’espérance de vie.
En France, de même, l’étrange « désarmement [3] » de la France, apparu avec son incapacité à maintenir des stocks de masques, traduit bien en réalité la perte parmi les décideurs publics de la hiérarchie des priorités et donc du sens de l’étendue de leurs responsabilités. On aurait presque fini par accepter comme une fatalité la faiblesse en France des politiques de prévention, plus ou moins bien compensée par l’organisation des services de soins. Il faut y lire plutôt la trace des résistances qu’une société cloisonnée et stratifiée oppose à des politiques de prévention, qui impliqueraient par exemple qu’on se soucie de la « mal-bouffe » des classes populaires au même degré qu’on se soucie de la qualité de l’air parisien. Certes, il faut y voir aussi la marque de groupes d’intérêts (du sucre, de l’alcool, des usagers de la route, etc.), auxquels les pouvoirs publics restent attentifs. Cette indifférence vis-à-vis de la prévention [4] et de la santé publique fait écho à l’alerte lancée par François Sureau [5] sur l’effritement des valeurs républicaines, parmi les décideurs publics ou privés.
Comment dès lors reprendre le fil des solidarités pour retrouver une cohérence et une énergie de bâtisseurs, pour ce volet « santé » de notre protection sociale ? Notre réflexion, qui ne prétend pas à l’exhaustivité, est en ce sens construits autour de trois axes :

  • la nécessité d’abord de poser clairement un socle de priorités : la prévention (1), l’accès aux soins (2), une place véritable faite aux usagers (3) ;
  • l’urgence, ensuite, de rendre plus lisible et plus efficace notre organisation, ce qui est vrai pour la santé stricto sensu (4), mais aussi pour la prise en charge du grand âge (5) et l’autonomie des personnes vivant avec un handicap (6) ;
  • enfin, les efforts qu’il faut actualiser et renouveler, pour la formation (7), contre les menaces que la technologie fait peser sur les données de santé et indirectement sur les libertés individuelles (8), ou pour lutter contre les formes diverses d’obscurantisme (9).

[1Charité pris au sens de l’aumône faite aux pauvres et nos pas au sens élargi de philanthropie.

[2Seuls des filets de sécurité ont été établis par les Démocrates après la mort de John-Fitzgerald Kennedy et l’échec d’un énième projet de Sécurité Sociale, au milieu des années 1960

[3L’ouvrage célèbre de Marc Bloch sur L’Étrange défaite de l’été 1940 avait mis en évidence également un enchaînement de renoncements, avec des conséquences évidemment bien plus lourdes.

[4Quelques avancées, au fil des années, pour la sécurité routière, puis pour la lutte contre le tabagisme, masquent mal les retards et les renoncements, dans la lutte contre l’alcoolisme, les produits gras et sucrés, etc.

[5Voir sa note « Sans la liberté » (Tracts n°8, Gallimard).

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