2. De nouveaux équilibres à encadrer juridiquement 

Repenser la place relative du système carcéral

L’état d’urgence a permis très rapidement la « libération » anticipée de nombre de détenus, ainsi que d’adopter le principe de la non incarcération pour des peines inférieures à 6 mois avec mise en œuvre de mesures alternatives. A ainsi été ouverte, et c’est heureux, une brèche de réflexion dans un système carcéral désuet. Ces dispositions n’ont, toutefois, pas suffi à mettre notre pays totalement dans les normes, au regard des directives de la commission Européenne concernant la surpopulation carcérale. La crise dépasse en réalité largement la simple insuffisance de moyens et renvoie à une perte de sens sur ce que devrait être la vocation même de la sanction pénale : la réinsertion des condamnés dans la société.

1. UNE QUESTION DE PRINCIPE

Depuis quelques décennies la prison française est plongée dans une crise profonde caractérisée par une surpopulation carcérale, un manque de personnel, un climat de violence en détention. Cette crise dépasse largement la simple insuffisance de moyens et renvoie à une perte de sens sur ce que devrait être la vocation même de la sanction pénale : la réinsertion des condamnés dans la société. L’incarcération est de fait un sas entre une condamnation et une sortie. A ce titre, tout doit être mis en œuvre pour que cette sortie soit réussie. L’institution ne doit pas seulement punir, elle doit être un instrument de réinsertion des détenus, pour le bien et la sécurité de tous.

La détention ne permet pas toujours au prisonnier d’améliorer sa conduite et sa personnalité. Il serait donc judicieux de créer des « centres de développement personnels et de réinsertion », pour les auteurs de petits délits. Il serait donc nécessaire de permettre au plus grand nombre de prisonniers d’apprendre un métier ou d’accéder à une formation continue, et pour certains de poursuivre leur cursus scolaire ou universitaire

Ce choix préconisé réduirait considérablement le nombre de détenus dans nos prisons françaises et favoriserait une normale réinsertion dans la société. Ce qui serait bénéfique pour tous. De plus les promesses de création ou de rénovation des prisons n’étant pas toujours tenues, comment ne pas penser alors que la surpopulation carcérale peut être un choix politique ?

Il faut rappeler ici que la France a déjà été condamnée à 17 reprises pour non-respect de l’article 3 de la Convention Européenne, interdisant la torture et les traitements inhumains ou dégradants. Est-ce acceptable, voire compatible avec un État de droit, qui présuppose le respect des droits de l’homme ? Mais les manifestations pour dénoncer cet état de fait n’ont pas été très nombreuses : hormis les combats de syndicats de la Pénitentiaire, d’Amnesty International, de la ligue des Droits de l’Homme, de l’ANVP [1]. et quelques autres associations si peu exposées dans nos médias, le pays tourne lâchement la tête à ces prisons que l’on ne saurait voir.

Nous entendons souvent parler de territoires perdus de la République, que dire des prisons ? En Février 2020, 71 000 personnes y étaient incarcérées pour 60000 places disponibles ; durant le confinement, ce nombre fut ramené à environ 61000 personnes. Mais, toujours en février, dans les Maisons d’arrêt le taux d’occupation était de 140 %, avec des pics à 180 voire à 200 % pour certains établissements. Le niveau sanitaire est encore souvent indigne.

Selon l’Observatoire international des prisons : « Ce n’est pas l’augmentation de la délinquance qui est en cause, mais bien l’inflation de mesures pénales favorisant l’incarcération ». Ces chiffres nous parlent d’hommes et de femmes qui sont et restent nos alter ego en humanité ; permettent-ils alors de définir notre nation comme un État de Droit, de plein droit devrait-on dire. Ainsi avant de penser promouvoir notre État de Droit, il semble d’abord nécessaire d’auditer avec clarté et sans concession ce même « État de droit » largement perfectible.

2. UN GACHIS ECONOMIQUE

L’argumentaire économique ne devrait pas être un argument à retenir lorsque la santé, l’éducation et les droits de l’Homme sont des principes cardinaux d’une société républicaine. Mais il serait absurde de ne pas s’en servir si celui-ci est potentiellement un facteur d’accélération décisionnelle. Toujours plus de prisons et de cellules est non seulement une capitulation de notre société, mais un gouffre financier dont les PPP [2] constituent le miroir grossissant

Les chiffres sont, bien entendu différents d’un établissement à l’autre de par sa taille, son affectation et son gestionnaire [3] . Ceux présentés ici sont des moyennes, issues d’un rapport parlementaire (pour avis) de 2015 émis par le sénateur JR Lecerf :

  • une journée de détention coûte en moyenne 100 € [4] ;
  • une journée pour mineur en centre spécialisé : 500 € ;
  • une journée sous bracelet électronique : 12 € (5 € avec des appareils plus récents) ;
  • une journée de placement à l’extérieur, (qui permet aux détenus d’effectuer des activités en dehors de l’établissement pénitentiaire) : 31 € ;
  • -une journée en semi-liberté (le détenu passe sa nuit en prison) : 50 €.

Notre taux d’incarcération est très élevé en regard d’autres démocraties : 104/100 000, alors qu’il est de 63 au Danemark et 57 en Suède. Qui plus est, les condamnations en matière délictuelles ont progressé entre 2004 et 2016 de 17% [5].

3. DES ALTERNATIVES A DEVELOPPER

Notre République, si elle veut se targuer d’être pleinement un état de droit devrait pouvoir calquer sa devise sur le trinôme « justice-carcéralité-réinsertion », sans avoir à en rougir. Trop nombreux sont les cas où les notions d’égalité et de fraternité sont mises à mal et nous interrogent. « Les animaux malades de la peste » nous offre une morale somme toute toujours moderne et le sentiment de défiance domine l’opinion publique, malheureusement pour des motifs souvent fondés.

Notre système carcéral mais aussi une partie des fondements juridiques qui « l’alimente » est malade d’un excès de pénalisation et d’une absence de volonté politique profonde de trouver une autre réponse. Comme l’explique un rapport du Conseil Economique et Social et Environnemental (CESE) en date du 26 novembre 2019 [6], ce sujet implique en effet des choix politiques.

L’aménagement des peines impliquerait, de fait, tous les niveaux de notre société, l’exécutif et le législatif, cela va sans dire, mais aussi les territoires, les entreprises, les bénévoles. Cela sous-entend bien sûr l’adhésion totale de la « magistrature » et de la « pénitentiaire », mais aussi d’une large majorité de citoyens conscients de l’enjeu sociétal et philosophique [7]. Il s’agit d’un véritable « projet de resocialisation », qui devrait être clairement défini et planifiés, chiffré, décliné selon les territoires. Cela suppose un suivi statistique élargi et accessible à tous (via le Ministère idoine), avec par exemple un rapport annuel devant la commission ad hoc et une communication claire et maîtrisée.

Les peines alternatives et aménagées doivent devenir la règle et non pas l’exception. Cela suppose aussi une formation constante de la magistrature et des échanges fructueux entre tous les acteurs de ces alternatives. Aujourd’hui, au-delà d’un an d’emprisonnement, aucun aménagement de peine n’est possible. Ce seuil devrait être relevé significativement.

L’efficacité de l’aménagement de peine gagnerait à être étudiée dès la phase d’instruction, afin de limiter au maximum la détention provisoire, qui constitue un « mal français » clairement identifié. D’autre part une étude approfondie de la personnalité, dès le début de la peine permettrait un plan « à la carte » efficient.

Quelles sont les principales alternatives à mettre en avant ?

  • Le contrôle judiciaire (CJ).
  • Le contrôle judiciaire socio-éducatif (CJSE) : avec une prise en charge sanitaire, sociale, éducative voire psychologique, ce qui suppose un renforcement ou un réaménagement du SPI [8] (tout comme pour les autres services habilités, d’ailleurs).
  • L’assignation à résidence avec surveillance électronique (ARSE).
  • Le travail d’intérêt général (TIG) : la sanction implique l’exécution d’un travail non rémunéré à ce jour, mais qui pourrait judicieusement l’être a minima. Ce travail est réalisé au bénéfice d’une association ou d’un service public, avec un plafond possible de 5400 heures aujourd’hui), qui devrait être augmenté, pour ouvrir un champ bien plus large de possible.
  • Le placement à l’extérieur (avec des principes et acteurs similaires au CJSE, supra).
  • La libération conditionnelle : elle doit être associée à un projet de réinsertion permettant une sortie anticipée encadrée.
    Concernant le bracelet électronique, qui représente 76,5 % des personnes dites « sous écrou » mais non détenues [9], il constitue la solution pratique la plus utilisée en substitution de peine (dans une société de plus en plus sous surveillance, faut-il le rappeler ?). Il est à sans doute un pis-aller, à reconsidérer (ce serait manquer d’empathie que d’imaginer qu’il rend la vie du détenu bien plus aisée [10] Le risque est de ne faire que « déplacer les murs » et créer ce que beaucoup nomment une « prison dehors », qui en soi ne résout rien en termes de réinsertion.

Il est à noter que plus de 50 % des prisons du Danemark sont de type « ouvertes », autrement dit sans barreau et concernent les peines inférieures à 5 ans ou même quelques fins de peines plus longues. Dans ces établissements, l’objectif de réinsertion et l’autonomie sont les priorités, avec, pour le détenu, un impératif de travail ou de formation. Les parloirs n’y sont pas chronométrés et les UVF [11] aisément accessibles. Avec ce type d’établissement le taux de récidive est de 28 %., nettement moindres qu’en France.
Comme on le voit, les mesures prises en urgence (dès la fin du confinement, les statistiques relatives aux personnes incarcérées ont à nouveau augmenté) ont fait apparaître une forme de « retard » spécifique à la France, sans doute explicable par la peur de choquer l’opinion, supposée demandeuses de mesures fortes et dissuasives (on mesure souvent cette demande sous le choc de faits divers, rarement après un travail d’explication et de pédagogie). L’examen des pratiques dans des pays voisins montre pourtant d’importantes possibilités de progrès.

Une dernière piste est également inspirée par ces exemples : en Allemagne, le principe de la protection de la dignité humaine est intégré dans la Constitution. Ce serait de fait une manière de consolider dans notre droit, au meilleur niveau, l’exigence d’une conciliation plus juste et plus efficace entre le souci de sécurité et celui de la dignité des personnes et de la réinsertion (le droit à une nouvelle chance est aussi un principe à reconnaître et à protéger).

[1Association Nationale des visiteurs de prison

[2Partenariat Public Privé.

[3Dans son rapport de 2017 la Cour des Comptes indique que le montant des loyers de PPP atteindra un niveau moyen de 223,8 millions d’euros par an entre 2020 et 2036. Une somme qui représente 40% des crédits consommés en 2015 pour l’immobilier pénitentiaire. Alors même que les établissements issus de PPP ne regroupaient que 15% des places opérationnelles en cellule en 2016.

[4140 € en PPP, 106€ Centres Pénitentiaires, 89 € en Maison d’Arrêt et 191 € en Centrale.

[5Certaines contraventions routières ont été transformées en délits (défaut de permis, d’assurance etc.)

[7Dans la mesure où la notion de pardon est au cœur de la réflexion personnelle.

[8PServices Pénitentiaires d’Insertion et de Probation.en personnel

[915% pour les personnes en semi-libertés et 10,5% en placement extérieur.

[10Le confinement ne nous en a peut-être donné qu’un mince aperçu !).

[11Unité de Vie Familiale.

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