L’accès aux soins

La République a vocation à protéger les citoyens et les étrangers qui vivent sur son sol contre la maladie, avec une attention particulière pour les plus fragiles. Le renforcement de l’accès aux soins passe par la formation des professionnels de santé et des usagers, ainsi que par des réformes d’organisation et de financement visant en particulier la réduction des restes à charges.

La crise liée à la Covid a mis en évidence l’importance des conséquences, en termes de pertes de chances, des renoncements ou des reports de soins qui se sont accrus (1).
Or un droit qui n’est pas utilisé n’est pas un droit. Pour être fidèle à sa promesse de protection universelle contre le risque maladie, la République doit aujourd’hui mieux favoriser l’accès aux soins (2).

1. LES CONSTATS

Avec le Préambule de la Constitution de 1946, qui fait partie du bloc de constitutionnalité, la République a fait une promesse : « garanti(r) à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé (…) ». La prévalence à un niveau élevé des situations de renoncement aux soins ainsi que le développement d’une offre de soins qui pratique des dépassements d’honoraires dans un certain nombre de spécialités médicales montrent que cette promesse, aujourd’hui, n’est que partiellement tenue.
Au plan individuel, le renoncement ou le report de soins peut être une perte de chance, qui frappe particulièrement les personnes aux revenus modestes mais relativement trop élevés pour ouvrir droit aux minima sociaux. Les prises en charges tardives correspondent généralement à des situations dégradées qui coûtent in fine plus cher à la collectivité. Au plan collectif, c’est l’adhésion de la société au financement d’un système de santé solidaire qui est entamée. Parce qu’il en va de la République, de son rôle protecteur et de sa vocation universelle, cette question est fondamentale pour la résorption des inégalités de santé.
L’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (Irdes) réalise tous les deux ans une enquête sur la santé et la protection sociale (ESPS). La dernière enquête publiée est relativement ancienne : elle date de 2017 et porte sur des données de 2014 [1]. Il en ressort que 16,8 % de la population entre 18 et 64 ans déclaraient avoir renoncé à des soins pour des raisons financières.
L’observatoire des non-recours aux droits et services (Odenore) a été créé par des chercheurs de Sciences-Po Grenoble (Pacte/CNRS). Selon le baromètre réalisé par l’Odenore [2], les personnes concernées par des situations de renoncement aux soins, identifiées au sein des accueils des caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) ou des centres d’examens de santé, représentaient en moyenne 26,5 % des assurés sociaux interrogés dans les différents territoires entre 2014 et 2017.
Sont concernés au premier chef les soins ou prestations donnant lieu à un reste à charge, c’est-à-dire à des dépenses qui ne sont remboursées ni par l’assurance maladie obligatoire ni par l’assurance maladie complémentaire : actes cliniques et techniques de médecins de secteur 2, prothèses dentaires et orthodontie, équipements d’optique et audioprothèses.
D’ici à 2021, la réforme du « 100% Santé » proposera à tous les patients bénéficiant d’une assurance complémentaire santé responsable ou de la complémentaire santé solidaire (l’ex-CMU-c) des soins et un large choix d’équipements en audiologie, optique et dentaire qui seront pris en charge intégralement. Mais on doit aller plus loin.

2. LES PISTES D’EVOLUTION

Pour favoriser l’accès aux soins, il est proposé ici de généraliser le tiers payant, de maîtriser et solvabiliser les dépassements d’honoraires médicaux et de mieux réguler la démographie médicale.

a. Généraliser le tiers payant

Le tiers payant permet de ne pas avoir à avancer la part remboursée par l’Assurance Maladie et par les organismes complémentaires d’assurance maladie. Depuis le 1er janvier 2017, le tiers payant est devenu un droit pour les soins de ville pris en charge au titre de la maternité ou d’une affection de longue durée (ALD), qu’il s’agisse de consultations médicales (de généraliste ou de spécialiste) ou de soins dispensés par d’autres professionnels de santé. Ce service pourrait être généralisé à l’ensemble des soins.

b. Maîtriser et solvabiliser les dépassements d’honoraires médicaux

Toutefois, cette proposition ne règle pas la question de la solvabilisation des dépassements d’honoraires médicaux. [3] Les dépassements d’honoraires par praticien ont atteint au total 2,4 milliards d’euros en 2018 pour les soins de ville, soit 11,5% des honoraires perçus toutes spécialités confondues, hors rémunérations forfaitaires. Les dépassements d’honoraires sont modestes chez les généralistes, à 210 millions d’euros, soit 2,5% des honoraires. Dans les autres spécialités médicales, la part des dépassements d’honoraires s’élève à 17,7% des honoraires, soit 2,2 milliards d’euros sur 12,4 milliards.
Le nombre de médecins autorisés à pratiquer des dépassements d’honoraires augmente de plus en plus vite. Le secteur 2 rassemblait 47% des spécialistes en 2018, contre 40% dix ans plus tôt. L’offre de soins à tarifs opposables baisse de façon préoccupante, notamment dans certaines spécialités. Radiologues, anesthésistes, psychiatres, chirurgiens d’orthopédie-traumatologie participent de cette évolution.
Le dispositif du « 100% Santé » pourrait être étendu aux dépassements d’honoraires médicaux. Cette proposition consisterait à plafonner les tarifs des médecins du secteur à honoraires différents, augmenter la base de remboursement de la Sécurité Sociale et rendre obligatoire le remboursement des dépassements d’honoraires plafonnés par les organismes complémentaires d’assurance maladie dans le cadre des contrats responsables.

c. Mieux réguler la démographie médicale

La France est, parmi les pays développés, l’un de ceux qui dépense le plus pour la santé, mais son effort est réparti de manière inégale entre les territoires et entre les assurés sociaux et ses résultats sont parfois décevants. Une meilleure répartition de cette offre de soins doit viser l’efficacité sanitaire et l’efficience médico-économique.
Le développement des usages de la télémédecine (en particulier pour les téléconsultations et la télé-expertise) ne constitue qu’une réponse partielle aux difficultés d’accès aux soins. Pour des raisons de santé publique, ces services devront rester encadrés.
L’organisation de l’offre de soins doit donc être mieux organisée, c’est-à-dire davantage régulée, voire autorégulée, au plan territorial. Le recensement des ressources et des besoins, ainsi que l’organisation des parcours de soins, doivent se faire au plus près des territoires de santé. Comme cela a été annoncé, l’exercice isolé de professionnels de santé libéraux doit être découragé par la politique tarifaire. A l’inverse, la création des premières communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) doit être encouragée.
Comme pour d’autres professions libérales de santé (sages-femmes, chirurgiens-dentistes, masseurs-kinésithérapeutes, infirmières libérales, etc.), les médecins libéraux ont un intérêt bien compris, d’un point de vue systémique comme pour la qualité de leur propre exercice professionnel, à voir mieux régulée leur démographie, dans la gestion du numérus clausus comme lors de l’installation. L’installation doit avoir lieu, en priorité, dans les zones où la démographie de professionnels de santé est sous-dense.
Des contrats d’engagement dans le service public, autrement dit des aides financières réservées aux étudiants qui s’engagent à s’installer pendant un certain nombre d’années dans un territoire sous-dense, existent déjà, sans grande efficacité. Il faut donc réfléchir à de nouveaux outils. La revalorisation des tarifs, le développement du salariat et l’extension de l’exercice de groupe apparaissent plus attractifs.
Une réflexion pourrait être ouverte sur la révision des conditions d’éligibilité des médecins au secteur à honoraires différents. L’entrée en secteur 2 pour les praticiens titrés pourrait être conditionnée à l’avenir à la réalisation préalable, par exemple, d’un certain nombre d’années d’exercice professionnel dans des zones sous-denses au regard de la densité médicale.

[1Célant N., Guillaume S., Rochereau T., L’Enquête santé européenne - Enquête santé et protection sociale (EHIS-ESPS) 2014, Rapport n° 566 - Octobre 2017, 282 pages.

[2Caisse nationale de l’Assurance Maladie (Cnam), Lutte contre le renoncement aux soins : un dispositif généralisé à l’ensemble du territoire métropolitain, Dossier de presse, 6 juillet 2018

[3Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), Les dépenses de santé en 2018, Résultats des comptes de la santé, Edition 2019

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