Les droits des usagers

Orientation : faire des citoyens des acteurs éclairés et engagés dans la promotion de leur propre santé.

Depuis une vingtaine d’années, des droits, tant individuels que collectifs, ont été reconnus aux malades et à leurs associations. C’est une rupture et un progrès majeur dans notre histoire sanitaire (1). Mais, pour que les citoyens deviennent des acteurs éclairés et engagés dans la promotion de leur propre santé, des efforts doivent encore être réalisés, en termes d’information et de prévention, de formation des professionnels de santé, ainsi que d’organisation des soins et de financement des consultations médicales (2).

1. UNE LONGUE EVOLUTION

  • a - Rappel historique

Hippocrate considérait que le thérapeute avait des devoirs envers les malades. Le serment d’Hippocrate précise aujourd’hui : « Je ne tromperai jamais leur confiance et n’exploiterai pas le pouvoir hérité des circonstances pour forcer les consciences ». Les autres professions de santé prêtent serment, elles aussi. Ces serments insistent tous sur les devoirs envers les malades auxquels sont dus respect et dignité. La Déclaration de Genève, écrite et approuvée en 1948 par l’Association médicale mondiale, donne une portée universelle à cet engagement.
Au temps d’Hippocrate, la notion de santé était primordiale et la médecine relevait de la philosophie. L’approche du Romain Galien a été plus autoritaire, avec une conception organiciste de l’être humain. La relation médicale paternaliste était née, et ce pour des siècles. Le médecin détient un savoir qui lui confère un pouvoir sur le malade et son corps. Quelle que soit l’avancée des connaissances au cours des temps, le soigné est sous la coupe de celui qui a pris possession de sa santé. Le mot patient a une connotation de passivité.
Depuis 1946, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a défini la santé comme un « état de complet bien-être physique, mental et social, ne consistant pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité et représentant l’un des droits fondamentaux de tout être humain quel que soit sa race, sa religion, ses opinions politiques, ses conditions économiques ou sociales ». Cette définition permet de considérer tout être humain dans la globalité de sa vie, dans la dignité et le respect conférés par ses choix.
Il faut attendre Michel Foucault pour voir se développer le concept de pouvoir médical et constater l’apparition d’une réflexion sur la médicalisation de la société. Santé publique, politique : l’État s’immisce ainsi dans la vie de tous, au plus profond de l’intimité de chacun, au fur et à mesure des progrès de la médecine. Il a organisé la prise en charge et la régulation des accidents de travail et les vaccinations au titre de la prévention Il a autorisé la contraception et le contrôle des naissances, ainsi que l’interruption volontaire. Il légifère sur la procréation médicalement assistée et fixe les conditions de la fin de vie. Ce pouvoir qui s’exerce sur la vie mais aussi sur la mort laisse peu de place à l’autonomie, tant il assure un pouvoir de surveillance.

  • b - Situation actuelle

Jamais ce pouvoir n’avait autant culminé qu’avec l’épidémie de Covid-19. Un confinement sévère a été imposé à la population, interdisant jusqu’aux hommages rendus aux défunts. Il semble s’être formé une collusion entre l’État et le corps médical, s’exprimant, chez certains responsables par le choix de culpabiliser et de punir.
Pourtant, ces dernières décennies ont vu les usagers de la santé prendre des responsabilités croissantes. L’usager de la santé veut ne plus être passif, mais devenir acteur de son propre destin, être informé dans une relation soignant-soigné beaucoup moins à sens unique. Il revendique la possibilité de décider et de nouer un véritable contrat entre celui qui reçoit et celui qui donne.
Il peut toujours y avoir dans la relation de soin un aspect magique et une relation de dépendance : celui qui souffre demande à être soulagé. Plus son affection est grave, plus peut s’installer une relation magico-mystique, avec le recours fréquent à de prétendues médecines parallèles : le charlatanisme (entendu comme la réalisation d’actes ou la dispensation de produits non validés par les agences et autorités sanitaires et réalisés ou dispensés par des intervenants non qualifiés) cause toutefois de graves dégâts.
Depuis le début des années 2000, le code de la santé publique précise (dans son article R 4127-35) que « le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension ».
En 2002 la loi dite Kouchner (à l’article L 1110-2 du code de la santé publique) reconnaît le droit des malades, avec le consentement libre et éclairé du patient aux actes et traitements qui lui sont proposés et son corollaire : le droit du patient d’être informé sur son état de santé. Encore faut-il que la loi soit bien appliquée. Cette loi instaure en outre des droits collectifs pour les associations de malades et d’usagers du système de santé.
Le soigné dispose de quantités de moyens de s’informer grâce aux médias. Il a accès à Internet, aux réseaux sociaux. Plus les connaissances médicales s’approfondissent et se complexifient, et plus l’usager de la santé cherche des informations que le soignant doit donner et rectifier parfois en un dialogue respectueux de celui qui demande. C’est le kinésithérapeute qui justifie la nécessité de tel soin, l’infirmière, les raisons de telles précautions dans son geste, ou le médecin qui explique l’affection diagnostiquée, les examens ayant permis la recherche de diagnostic, le pronostic. C’est la construction, à tous les échelons, d’une véritable alliance dénuée de passivité pour le soigné.
À cette fin, il est nécessaire d’adopter un vocabulaire compréhensible, sans jargon scientifique ou technique excessif, ou une écriture accessible et lisible. Le praticien doit avoir le souci de l’autonomie du patient et d’une décision thérapeutique partagée, une fois que tout aura été objectivement et clairement expliqué.
Cette relation peut se construire en milieu hospitalier. Elle sera difficilement réalisable dans un service de réanimation, mais envisagée a priori si possible, avec des tiers proches et de confiance, et a posteriori. Par ailleurs, toujours dans l’optique du droit du malade, une charte du patient hospitalisé garantit le droit à l’information et le consentement préalable, la liberté individuelle, le respect de l’intimité, le droit à la vie privée et la confidentialité et le droit d’accès à son dossier médical. Elle a pour but de garder au patient hospitalisé toute sa dignité.
La réalité de ce pouvoir prend une acuité particulière au regard de la fin de vie. Le sujet du droit de mourir dans la dignité est une question suscitant de multiples controverses, d’autant que, selon les pays, elle sera traitée différemment. En France, la loi Clayes-Léonetti du 2 février 2016 permet au médecin d’administrer une sédation profonde et continue à la demande du patient, entraînant à terme la mort, mais sans la provoquer. Le malade peut décider d’arrêter tout traitement, il est malgré tout dans l’impossibilité légale de choisir le moment de sa mort, en toute conscience et en voulant la vivre pleinement (contrairement à la Suisse, la Belgique, la Hollande). Pourtant il arrive maintes fois que le médecin soit saisi de la demande de mourir dans la dignité, en une mort librement choisie en jour et en heure.

2. DES EVOLUTIONS ENCORE NECESSAIRES

  • a - Encourager la prise de responsabilité (l’« empowerment ») des malades et de leurs associations

Le soin n’est pas seulement le traitement de la maladie, mais le maintien d’un équilibre physique et mental au champ d’action élargi. Le médecin est certes un acteur important au regard de la santé du citoyen, mais d’autres acteurs doivent intervenir, non seulement infirmiers et masseurs-kinésithérapeutes, mais aussi psychologues et éducateurs thérapeutiques. Tous ont leur rôle à jouer, à des degrés divers, pour soigner, expliquer expliciter, mettre à portée de tout citoyen, quel que soit son niveau d’études, un savoir et des conseils permettant d’avoir le souci de son corps et de son esprit. L’éducation doit commencer dès le plus jeune âge et devrait être un des volets de l’enseignement dès le primaire.
Pour développer l’« empowerment » des malades, c’est-à-dire leur prise de responsabilité, leur capacité à co-décider de leurs traitements au terme d’échanges éclairés et équilibrés avec chacun de ces personnels de santé ou de ces intervenants, le rôle des associations de malades et d’usagers du système de santé doit être renforcé. Elles fournissent des informations de qualité utiles aux malades, avec des publications adaptées, des réunions publiques d’éducation thérapeutiques, des groupes de paroles entre patients ou entre aidants naturels, etc.
A cet égard, il convient notamment de mieux garantir l’indépendance financière de ces associations, non seulement par rapport à l’industrie pharmaceutique, mais aussi vis-à-vis de l’État et de l’Assurance Maladie. Leur prise d’autonomie par rapport aux intérêts économiques s’est accompagnée ces dernières années de leur relative institutionnalisation. Cela peut réduire leur capacité à pousser à l’innovation dans la définition des politiques publiques. Il faut y prendre garde car le système de santé a besoin de réseaux de patients-experts indépendants et parfois de lanceurs d’alerte.

  • b - Investir dans la prévention

C’est la prévention qui permettra à tout citoyen de prendre sa vie en main et de s’autonomiser. L’information donnée dès l’école et poursuivie tout au long du cursus scolaire, que ce soit dans l’enseignement général ou professionnel, doit donner à tous l’accès à un savoir démystifié, simple mais non simpliste. Cet enseignement devrait se faire en étroite collaboration entre les enseignants et les acteurs du monde sanitaire.
Il faut aussi apprendre aux jeunes à décrypter très tôt les fausses informations véhiculées par les réseaux sociaux et qui peuvent entraîner de graves changements de conduite, comme la méfiance suscitée par rapport aux vaccinations. Ce sera armer des citoyens responsables et décidant en toute liberté de leur vie et de leur avenir.

  • c - Former les futurs professionnels de la santé à une approche humaniste de la médecine

La formation initiale des professionnels de santé doit faire de la prévention une priorité. Ils doivent être sensibilisés au respect de la dignité de chacun, qui ne se réduit pas à sa maladie, mais est un humain toujours unique et singulier. C’est le fondement même de l’humanisme.
La méthode de Mickaël Balint permettant de décrypter et d’éclairer la relation soignant-soigné allait dans ce sens. Elle est négligée de nos jours. Les « Groupes Balint » s’adressent à tous les professionnels de santé. Ils favorisent l’analyse de chaque situation vécue par un membre du groupe. Au fil du temps, chaque professionnel de santé participant acquiert une meilleure connaissance de lui-même et de son comportement de soignant.
Dans un même esprit, de nouvelles méthodes se développent aujourd’hui : pédagogie inversée, patients partenaires, formations par simulation, formations pluridisciplinaires, etc. Il faut favoriser leur diffusion.

  • d - Mieux valoriser l’activité clinique et les consultations longues et transférer des compétences aux autres professions de santé

Pour un échange de qualité entre celui qui soigne et celui qui est soigné, entre celui qui informe et celui qui écoute, il faut du temps. Une relation ne s’établit pas avec l’œil rivé sur la montre. Cela suppose de bien coter les consultations longues, ce qui a été amorcé ces dernières années, et de mieux valoriser l’activité clinique par rapport aux actes techniques, ce qui dans une large mesure reste à engager.
Cela suppose aussi de concentrer l’activité des cabinets médicaux sur des consultations requérant de hautes compétences médicales, donc de transférer certains examens, soins et prescriptions à d’autres professions de santé dans les domaines où leur expertise est au moins aussi forte.

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