L’accompagnement des personnes âgées dépendantes

Orientation : répondre au souhait des personnes âgées de vivre à leur domicile le plus longtemps possible et leur permettre, quand cela devient nécessaire, de résider dans un établissement médico-social satisfaisant, au plan de la qualité comme du coût.

La crise sanitaire a mis en évidence l’isolement et la manque de soins des personnes âgées dépendantes, y compris de celles qui étaient accompagnées dans un établissement médico-social (1). L’annonce de la création d’un « cinquième risque » de Sécurité Sociale reste à organiser concrètement et notamment à financer. Dans ce contexte, plusieurs propositions concrètes peuvent être formulées pour améliorer la situation (2).

1. DES CONSTATS ALARMANTS

Durant le confinement, les résidents des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ont souffert de leur isolement et d’un manque de soins. La pénurie de places à tarifs abordables est une situation ancienne. Le contexte institutionnel se caractérise par une confusion et une irresponsabilité partagée.

  • a - Un manque de soins avéré lors de la crise sanitaire

La crise sanitaire de ces derniers mois a montré deux facettes antinomiques mais qui constituent peut-être en réalité les deux faces d’une même médaille : une mobilisation remarquable des acteurs de santé autour des personnes âgées à partir d’alertes médiatisées ; mais un défaut d’organisation globale de la prise en charge dans le secteur social et médico-social au démarrage de la pandémie ainsi qu’une grande lenteur dans les réactions.
La gestion des masques et des tests de dépistage ou le retard apporté dans les stratégies de prise en charge des personnes âgées pour les Ehpad illustrent ce deuxième point jusqu’à la caricature : rien n’était prévu. L’État ne pouvait rien fournir en termes d’équipements et les départements ont été à la peine en matière de réactivité. Sans les protestations médiatiques des professionnels et des fédérations ou associations d’établissements, la situation aurait perduré.
Les causes probables de ces dysfonctionnements sont multiples et cumulatives : absence d’un décideur unique qui aurait été l’animateur d’une philosophie d’action sur le terrain ; multiplicité des intervenants autour des personnes âgées ; double financement (sanitaire et médico-social) du secteur qui rend difficile les décisions rapides.

  • b - Une pénurie de places ancienne mais de plus en plus aiguë

Une grande iniquité existe depuis de nombreuses années dans le domaine de l’hébergement et des services aux personnes âgées, en particulier dépendantes. Les personnes âgées restent à leur domicile le plus longtemps possible en bénéficiant de services d’aides à domicile mises en place par les collectivités locales ou les associations gérant ces services. Les enfants, ou l’un d’entre eux résidant en général à proximité, viennent voir leur parent au moins toutes les semaines à son domicile. La famille et la personne âgée cherchent à retarder le plus possible la perte d’autonomie qui implique la recherche de solution alternative. Peu de familles peuvent accueillir un aîné à domicile en raison de l’exiguïté des appartements modernes et de la quasi impossibilité d’isoler un lieu de vie pour la personne âgée, lui permettant d’être un peu autonome par rapport à ses enfants tout en conservant une grande proximité. Quand la situation de santé de la personne âgée se dégrade et qu’elle perd peu à peu son autonomie de vie pour rentrer dans une période de dépendance, il faut trouver une solution d’hébergement extérieur.
Souvent à l’occasion d’un accident de vie, la personne âgée doit rentrer en Ehpad car l’évaluation des médecins révèle l’impossibilité d’un maintien à domicile. La famille fait alors le tour des Ehpad de la ville et constate que les Ehpad publics ou gérés par des établissements privés à but non lucratif sont pleins et ont une liste d’attente de plusieurs mois. Elle se reporte sur des établissements privés à but lucratif qui lui laissent un reste à charge important (entre 70 et 90 euros par jour, voire plus dans certaines villes). Prise à la gorge, la famille prend une place à ces tarifs pour lesquels la retraite de la personne âgée n’est pas suffisante, même si les ressources de la famille ne permettent pas d’assumer cette contrainte financière dans la durée. La famille fait le tour des établissements hors de la ville pour trouver un Ehpad avec reste à charge moins important et trois ou quatre mois après retient une place dans un établissement se situant parfois à 30 ou 40 kilomètres de la ville.
La personne âgée change alors d’établissement. Sa famille vient la voir moins souvent qu’auparavant car cela nécessite des heures de déplacement. En moyenne, la famille vient une fois par semaine, voire moins quand elle est retenue par ailleurs le week-end. En général, les personnes âgées vivent mal cet éloignement et cette distanciation avec leurs proches. Leur situation de santé se dégrade vite pour aboutir à un décès dans les deux ou trois ans en moyenne après l’admission.
Certes, cela ne se produit pas toujours ainsi, mais il n’est pas caricatural de dire que cela se produit souvent. En synthèse, les personnes âgées citadines ne peuvent intégrer un Ehpad de leur ville que si elles ont les moyens financiers de payer un reste à charge de plus de 2000 euros par mois, voire plus de 3000 euros dans certaines régions, ou bien si elles peuvent bénéficier de l’aide sociale. Là, le département prend en charge le différentiel, avec un plafonnement au prix de journée. L’allocation pour personnes âgées (APA), quant à elle, est très inégalitaire entre les départements.
Cette difficulté d’accès financier aux Ehpad s’est accrue ces vingt dernières années. Il y a eu peu de créations de places publiques d’Ehpad. A l’inverse, il faut bien constater le dynamisme du secteur privé lucratif qui a développé de nouveaux Ehpad, notamment via des chaînes d’établissement cotées en bourse. Ces chaînes expliquent d’ailleurs le coût élevé de leurs prestations par le prix du foncier nécessaire à leur implantation en ville. A contrario, beaucoup de ces établissements privés n’admettent pas de personnes relevant de l’aide sociale.

  • c - Une crise plus globale

Plus généralement, alors que l’évolution démographique conduit à la croissance de la part relative des personnes âgées dans la population, comme à celle des personnes très âgées (plus de 80 ans), la place reconnue aux aînés dans la société se dégrade. La modification de l’habitat et des conditions de vie courante de tous, ainsi que le changement des comportements dans la famille et dans la société (les anciens n’y ont plus l’aura d’antan et sont souvent considérés comme inutiles parce qu’ils ne produisent pas), entraînent une dissolution du pacte implicite entre les générations et posent des problèmes ardus, multiformes. On le voit en période épidémique quand les plus jeunes transmettent en toute insouciance le virus, sans imaginer que les plus vulnérables et les plus précaires, en particulier les personnes âgées, en seront, in fine, les victimes.
Notre société ne peut se permettre de discriminer ses personnes âgées (tout comme les personnes vivant avec un handicap). La fraternité de notre devise républicaine commande un comportement solidaire de tous au bénéfice des plus fragiles. Comment le construire ou le reconstruire ?

2. DES PISTES DE REPONSES

Une piste de réponse consiste à prendre la mesure du retard relatif de la France par rapport à ses principaux voisins dans trois domaines qui peuvent être autant de lignes de progrès : le maintien à domicile (et les soins associés) ; la prise en charge de la dépendance, par la création d’accueils dédiés mais aussi par une réforme du financement ; enfin la définition d’une stratégie nationale plus généreuse et solidaire.

  • a - Mieux répondre au souhait des personnes âgées de vivre à leur domicile le plus longtemps possible

De nombreux départements ont commencé à développer des services spécialisés qui intègrent offre sociale (portage de repas) et sanitaire (soins infirmiers). Mais il convient encore de construire une véritable présence de proximité, qui se substitue à la famille éloignée ou absente. Il faudrait pour ce faire rendre possible un « bouquet » de services plus riche, intégrant l’aide aux déplacements, des visites, etc. Ce que les Québécois désignent comme des services de « communauté » devrait être déployé en France au niveau intercommunal, de manière obligatoire (ce serait une des leurs compétences obligatoires, comme la loi en a déjà prévu d’autres).

  • b - Réviser les missions et le contrôle des Ehpad

Des établissements d’hébergement peuvent devenir indispensables, notamment après un accident de santé qui a réduit le degré d’autonomie dans la vie quotidienne. Mais il convient de revoir les missions et le contrôle de ces établissements. Il n’est pas acceptable que des établissements qui coûtent plusieurs milliers d’euros par mois ne correspondent pas à des critères de qualité et de sécurité élevés et vérifiables.
L’accréditation des établissements a été étendue aux établissements médico-sociaux accueillant des personnes vivant avec un handicap. Elle devrait l’être à ceux accueillant des personnes âgées dépendantes. Les missions de ces établissements pourraient, par ailleurs, se diversifier en intégrant un objectif d’aide au maintien à domicile (leurs ressources serviraient de plateformes de soins et de services).
Les schémas départementaux et/ou régionaux devraient donc être à la fois plus ouverts sur les missions et plus contraignants sur les modalités. Ils devraient prévoir un maillage suffisant en structures pluridisciplinaires d’évaluation (ou de réévaluation périodique) de l’état de la personne âgée. Ils devraient prévoir des aides, destinées à rendre possible un hébergement en ville.
Il faudra enfin apporter une solution à la pénurie de personnels dans les Ehapd, en augmentant le ratio nombre de personnels accompagnants/nombre de résidents et en revalorisant les formations et les parcours professionnels.

  • c - Engager, au plan national, une politique de solvabilisation du risque dépendance

La couverture d’un risque dépendance est aujourd’hui freinée par les pratiques très hétérogènes et opaques des assureurs. Les contrats, tous différents, ne sont pas aisément cumulables. D’où un nombre très important de contrats « perdus de vue ». Il conviendrait de désigner un opérateur unique, chargé de centraliser les versements et de rendre ceux-ci aisément « portables », conditions préalables à la généralisation d’une assurance dépendance.
Enfin, il serait intéressant de travailler sur un « plan blanc » élargi dans le secteur des personnes âgées, pour aller du domicile à l’établissement social et médico-social, pour mettre tous les acteurs en situation d’agir utilement en situation de crise. Sans attendre l’alerte et l’action quand survient une crise, il est nécessaire de travailler en anticipation.

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