L’autonomie des personnes vivant avec un handicap

Orientation : rattraper notre retard sur la politique du handicap, en engageant la révolution du « care » et en rendant la République plus « inclusive »

Parmi les pays développés, la France est loin d’être exemplaire dans l’attention portée aux personnes vivant avec un handicap (1). Une révolution culturelle est nécessaire, celle du « care », pour mieux répondre à leur demande d’autonomie (2). Cela passe par un changement de concepts et cela appelle des actions concrètes, tant publiques que privées. Rendre la cité plus « inclusive » et les dispositifs publics plus attentionnés pour les personnes vivant avec un handicap bénéficiera à tous les citoyens.

1. QUELQUES CONSTATS

Il n’est pas possible d’appréhender en quelques pages les questions complexes liées aux handicaps, à leur définition, aux politiques déployées pour mieux répondre aux attentes des personnes vivant avec ces handicaps et de leurs familles. A l’inverse, il aurait paru sans doute étrange ou en tout cas réducteur qu’on traite de la question des soins sans aborder la question plus large des parcours de santé et de vie des personnes vivant avec un handicap (comme, en parallèle, des personnes âgées dépendantes). Une part de l’offre de soins est en effet orientée vers ces personnes, d’une part, et d’autre part l’objectif est de mieux intégrer soins sanitaires (« cure ») et soins de la vie quotidienne (« care »).
Au cours des années récentes, le chemin parcouru en ce sens peut paraître important. Il demeure pourtant encore insuffisant, quand on compare la situation française avec celle de très nombreux pays comparables par leur niveau de vie. Comment progresser, dans le sens d’une solidarité plus concrète et plus attentive aux demandes ?

  • a - Des évolutions déjà importantes

• Pour les accueils spécialisés

Le terme de handicap est générique et recouvre diverses réalités aux besoins différents. Même si les généralités sont toujours risquées dans ce domaine (on constate de nombreuses situations de polyhandicaps), les personnes vivant avec un handicap moteur et sensoriel ont essentiellement des besoins d’accessibilité et une demande légitime de compensation, pour l’accès à l’emploi ou les charges de la vie quotidienne. Les personnes vivant avec un handicap mental, psychique ou un polyhandicap posent en outre des questions plus complexes, en termes d’insertion. Toutes les personnes vivant avec un handicap, de quelque nature qu’il soit, ont fait l’expérience de la stigmatisation et ont de justes revendications quant au respect de leur dignité.
La notion de handicap dépend largement de l’environnement dans lequel la personne évolue. C’est ce qui différentie fondamentalement le handicap de la déficience (au niveau de l’organe) et de l’incapacité (au niveau fonctionnel). A déficience égale, le handicap sera très différent en fonction de l’environnement. Une paraplégie ne se traduira pas par le même handicap selon que l’on vive dans un village de montagne ou dans un quartier bien équipé, selon que les transports en communs sont adaptés ou qu’ils ne le sont pas. Il en est de même en ce qui concerne les déficiences sensorielles.
La réponse traditionnelle jusqu’à la fin du XXe siècle consistait dans l’enfermement des personnes vivant avec un handicap mental, psychique ou un polyhandicap. Pendant très longtemps il s’est réalisé dans les hôpitaux et hospices, puis dans les hôpitaux psychiatriques. La création de la Sécurité Sociale après la seconde guerre mondiale a permis, grâce à la solidarité nationale, de créer des établissements d’accueil spécialisés selon le type de handicap.
Cela va d’ailleurs dans le sens d’un mouvement général d’ouverture des lieux traditionnels d’enfermement. Mais ces mouvements sont lents car la société accepte difficilement le retour de toutes les « personnes dérangeantes » dans les espaces publics.

• Vers des accompagnements « inclusifs »

Au début du XXIe siècle, sous la pression d’associations de parents et de personnes vivant avec un handicap, la notion de « société inclusive » a émergé et a été déclinée dans les lois de 2002 sur les droits des usagers et de 2005 sur le handicap. Au plan international, une Convention des droits des personnes handicapées (CDPH) a été adoptée en 2006 par l’Assemblée mondiale de l’Organisation des nations unies (ONU) et ratifiée par la France en 2010.
Les objectifs sont ambitieux. Comme l’a résumé le président de la République en 2016 : « la société inclusive c’est celle qui fait le lien entre l’individu et le collectif (...), c’est faire en sorte que nous soyons tous, d’une certaine façon, impliqués, concernés, mobilisés, respectés. La société inclusive (…) c’est une société où la solidarité n’est pas simplement une règle, une loi, mais véritablement une participation commune. » Il s’agit d’une évolution profonde et multiforme, qui doit faire appel à de nouveaux mots concepts : outre « l’inclusion », la notion de « situation de handicap », de dignité humaine, d’accès égal aux droits, d’égalité des droits et égalité des opportunités, de non-discrimination, de société décente, de cohésion sociale, de citoyenneté, de solidarité, de participation, d’autonomie et d’autodétermination, Il nous faut intégrer le fait de la fragilité et de l’interdépendance humaine comme élément constitutif de toute situation.

  • b - Des résistances et des blocages

L’effort collectif est de fait multidimensionnel : il faut en particulier permettre à l’ensemble de nos concitoyens vivant avec un handicap l’accès aux soins, mais aussi aux droits sociaux et économiques (emploi, formation, etc.). On le sait, les progrès en France sont très lents, en particulier sur ce plan.
Un rapport récent a été établi par la rapporteure spéciale chargée d’évaluer les progrès faits en France par rapport aux objectifs de la Convention de l’ONU. Son bilan est critique : elle relève que le nombre de personnes vivant avec un handicap accueillies en institution demeure très important, pour les adultes comme pour les enfants, que l’insertion professionnelle progresse peu et que les droits sont insuffisamment pris en considération. Plus étonnant (et encore plus difficilement explicable) : de nombreux articles de la Convention n’ont toujours pas été transcrits en droit interne.

2. DE NOUVELLES AVANCEES SONT DONC NECESSAIRES.

Plusieurs pistes paraissent prioritaires : redéfinir les principes, engager la révolution du « care » et revaloriser les métiers du secteur médico-social.

  • a - Conforter des définitions de principe

A l’évidence, une prise de conscience plus globale des enjeux est encore nécessaire, qui repose sur des clarifications : par exemple, de partir de la notion de « situation » de handicap, plus que celle de « besoin » (présenté comme plus objectif, mais à tort).
Une deuxième évolution de principe devrait consister à donner plus de place à la notion de « care ». Cette notion présente notamment l’intérêt de décomposer l’action indispensable en plusieurs phases. La première consiste à reconnaître qu’un besoin est là, ce qui mobilise l’attention (« to care about ») et la sollicitude, l’empathie (« to care for ») vis-à-vis de la personne vulnérable. La deuxième consiste à décider de répondre au besoin décelé et à organiser la réponse (« to care of »), ce qui mobilise le sens de la responsabilité vis-à-vis de la personne vulnérable. La troisième consiste à prendre soin (« to give care ») de la personne vulnérable par un travail concret auprès d’elle. La quatrième permet de vérifier auprès de la personne vulnérable que son besoin a été bien identifié et que la réponse a bien été organisée puis réalisée (« to receive care »), ce qui mobilise à nouveau attention, empathie et sollicitude. Toutes ces dimensions doivent être présentes pour que l’accompagnement soit de qualité.

  • b - Reconnaître la légitimité et la valeur du « care »

Cette approche va de pair avec une demande de revalorisation des métiers du « care », justifiée notamment par l’implication qu’ils exigent et par la complexité des soins requis. Le « care » met en évidence notamment que le soin, à l’hôpital et/ou au domicile, ne se réduit pas à la prise en charge par le médecin (examen, diagnostic, prescription, remèdes et suivi), mais qu’il comprend aussi le nettoyage corporel des personnes dépendantes (enfants, sujets âgés), des tâches « subalternes » assurées par des personnes tenues pour « sans grade », mal considérées et mal rémunérées (aides-soignantes, aides à domiciles).
Le « care » recouvre enfin l’intervention de tous les métiers qui permettent de réduire le handicap, notamment sensoriel et moteur, par la rééducation et la réadaptation. Dans le domaine des déficiences sensorielles, ces interventions peuvent réduire considérablement le handicap. C’est un triste paradoxe : l’accès à ces méthodes est extrêmement limité en France, alors même que des équipes de recherche françaises sont réputées dans ce domaine à l’échelle internationale.

  • c - Concevoir des dispositifs publics plus attentionnés

Mais bien entendu, l’effort attendu pour mettre les actes au niveau des annonces récurrentes ou des engagements n’est pas seulement conceptuel. Il implique des évolutions multiples et diversifiées, pour rendre la cité plus accessible à tous et développer les initiatives plus attentives à la situation des plus vulnérables.
Un exemple, la nécessité d’adapter les formes et les procédures aux personnes vivant avec un handicap, ici avec un handicap mental. On leur fait signer des documents administratifs comme le contrat de séjour en établissement auquel ils ne comprennent rien. Ils le signent car c’est une obligation réglementaire, mais ils sont souvent incapables d’en saisir le contenu malgré tous les talents pédagogiques déployés par leurs accompagnateurs. Pourquoi ne pas demander que tous les documents ou démarches nécessaires aux personnes vivant avec un handicap mental, psychique ou un polyhandicap soient traduits en méthode FALC : facile à lire et à comprendre ?
Intégrer la vulnérabilité des personnes vivant avec un handicap, c’est, au-delà des annonces, réaménager la cité, en particulier l’espace public pour le rendre plus accessible pour tous : personnes vivant avec un handicap, personnes âgées et conducteurs de poussettes. D’énormes investissements restent à réaliser sur la voie publique et dans les transports en commun (ascenseurs, rampes d’accès, marquage sonore, etc.), comme dans l’immobilier (hauteur des interphones dans les halls d’immeuble pour les personnes à mobilité réduite utilisant un fauteuil roulant, aménagement des appartements, etc.).
Intégrer la vulnérabilité des personnes vivant avec un handicap dans notre environnement quotidien, c’est déjà en réalité rendre celui-ci plus humain, c’est se rendre attentif aux différences de perception. Un exemple est évocateur : certains supermarchés ont entrepris de réserver des tranches horaires pour les personnes vivant avec un handicap, notamment l’autisme, qui sont très sensibles aux agressions sonores et lumineuses. Pendant le confinement, de la même façon, des tranches horaires ont été réservées aux personnes âgées et/ou plus fragiles. Ne pourrait-on pas s’inspirer des aménagements ainsi introduits pour rechercher, plus souvent, plus généralement, une société moins « stimulante » et agressive pour tous, plus humaine, non stigmatisante et plus attentive à la diversité des attentes ?

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