Préambule
Approcher l’« Après » suppose de s’arrêter préalablement sur l’Avant et de se livrer à quelques considérations sans aucune prétention à l’exhaustivité. Elles permettront de situer le cadre dans lesquelles se sont inscrites les réflexions des membres intéressés de la Juridiction élaborées au cours de ces six mois de mars à septembre 2020. Ces réflexions issues des travaux de maçons rompus à la méthode symbolique ont permis de sélectionner les quelques 400 travaux qui peuvent être contributifs pour penser le Nouveau Monde, celui de « l’Après ».
L’épidémie, ce mot grec (epi : au-dessus et demos : peuple) qui signifie « ce qui est au-dessus du peuple » a envahi la Terre en 2020 dans le même temps que cette Covid-19 due au SARS-Cov-2. Dans l’Antiquité grecque ou romaine, ce mot « épidémie » annonçait aux contemporains que la maladie planait sur leurs têtes, que la vengeance des dieux s’exerçait ainsi et que seule, leur hubris en était la cause. Ce concept est toujours opératoire au sein d’un courant écologiste radical qui estime que la pandémie actuelle est en quelque sorte une vengeance de la Nature naturante en rébellion contre un Anthropocène de création purement humaine [1]. Ce concept relève, à l’évidence, d’une Théodicée.
Or, les maçons du Grand Orient de France, à la suite de la Renaissance et du Siècle des Lumières et quelles que soient leurs conceptions métaphysiques personnelles, s’inscrivent dans une Anthropodicée au sens de Vladimir Jankélévitch [2].
Une telle Anthropodicée impose à l’humanité non seulement de ne s’en remettre qu’à elle-même mais aussi de prendre pleinement conscience qu’elle n’a à attendre ni recours ni secours d’une quelconque instance extrahumaine, c’est ce que lui dicte la Raison que d’aucuns voulaient ériger en déesse, ce en quoi ils paraissaient avoir échoué.
Mais cet échec n’est qu’apparent comme l’illustrerait sans peine un dictionnaire des croyances et des voyances, des astrologues et futurologues, des guérisseurs et imposteurs et autres colporteurs d’insupportables « fake-news ». À l’angoisse existentielle liée à sa finitude en tant que personne, l’être humain, en tant que membre de l’humanité, se trouve en proie au vertige d’une responsabilité démesurée qu’il se sent incapable d’assumer.
Cette épidémie aura révélé l’inculture scientifique de nombre de médias et l’imposture médiatique de non moins nombreux scientifiques dont il est inutile de faire le recensement.
Les maçons sont très familiers du symbole de l’ouroboros, qui figure l’ouverture à tous les possibles. Ce symbole rend parfaitement compte du concept de feedback découvert en 1943 qui s’applique aussi bien en biologie qu’en cybernétique. Ce feedback ou rétroaction, lorsqu’il est négatif, a pour fonction de conserver le système en équilibre. Par contre, lorsqu’il est positif, il induit des réactions en chaîne qui s’enchaînent et qui nous enchaînent dans des spirales infernales qui, cette année, ont pour nom « confinements »
La fonction mathématique qui rend compte de cette réaction en chaîne est la fonction exponentielle dont une des expressions est le temps de doublement. Ce temps de doublement est très familier des cancérologues car il rend compte, entre autres de l’agressivité d’une tumeur. Il l’est beaucoup moins de nombre de nos concitoyens, y compris parmi les politiques.
En effet, il se trouve qu’ils n’ont que des notions statistiques très approximatives et ne mesurent pas que les enchaînements logiques sont tout aussi utiles en science qu’en philosophie. Ils sont pourtant indispensables à la compréhension des phénomènes que nous subissons et aux remèdes que nous attendons.
Cette compréhension passe aussi par une culture statistique approfondie. Les calculs de probabilités inventées à partir des travaux de Blaise Pascal ont permis d’identifier et de quantifier les risques en se donnant les moyens d’agir sur eux tout en sachant que la quantification n’est pas la solution mais la simple exposition du problème.
Les statistiques sont ainsi actualisées et modélisées avec l’apport de nouveaux événements mais, aussi sophistiquées soient-elles, elles ne constituent qu’une des données du problème, elles n’en sont jamais la solution. Les usages désinvoltes dont ceux qui en usent sont prodigues en font des arguments d’autorité qui ne sont pas non plus des solutions.
La seule certitude statistique irréfutable à 100% est la mort de tout ce qui est vivant. Seul, ce qui n’est pas né ne peut pas mourir.
Les solutions ne sont que de l’ordre du politique qui doit recueillir l’adhésion des citoyens, mais celle-ci est proportionnelle à la confiance que ceux-ci accordent aux politiques et contingente à une infosphère pléthorique sans hiérarchisation critique. Or, la perméabilité des sociétés aux mensonges [3] n’est pas sans rappeler le constat de Goebbels qui élevait le mensonge en doctrine politique en remplaçant l’explication par l’incantation. Cette adhésion ne peut être profonde et durable que si elle repose sur des vérités reconnues et partagées.
Il est tout aussi impératif de mesurer l’importance des réseaux sociaux qui relativisent tous les discours en hypertrophiant la valorisation du discours simpliste, complotiste [4], conspirationniste [5], anathémisant et hyperviolent. Ces discours témoignent du refus obtus d’accepter le réel de l’autre et toute autre réalité que l’irréalité dans laquelle ils baignent. Ces discours rendent compte de la très difficile émergence d’un discours scientifique fondé et argumenté, par nature, complexe et critique. L’exemple « criant » de la chloroquine et de son thuriféraire a démontré en 2020 cette babélisation des rationalités, les théories du complot élevé par les gouvernements à la hauteur d’arguments diplomatiques comme le montrent les accusations chinoises ou américaines de diffusion de l’épidémie en 2020 ne font que crédibiliser les complots antérieurs [6] dont le plus achevé est représenté par les Protocoles des Sages de Sion
L’éducation scientifique qui traverse toutes les thématiques proposées doit proposer cette nouvelle alphabétisation en dotant chaque être humain des moyens technologiques d’accès à tous les canaux propices à cette nouvelle alphabétisation et réparer ce qu’il est convenu d’appeler « la fracture numérique ». Un niveau raisonnablement élevé de formation en sciences est à la fois source de connaissances et de reconnaissance [7] tant pour celui qui en bénéficie que pour la société qui l’en fait bénéficier. Ce n’est qu’à ce prix que les scientifiques, les politiques et les citoyens pourront établir un dialogue fructueux dans une interdisciplinarité tripartite, désirée et consentie dont les décisions légalement validées seront ainsi reconnues et légitimées [8].
La triple évaluation attendue des contributions présentées par les coordinateurs généraux, les conseillers scientifiques et Membres du Suprême Conseil témoignent de la rigueur logique mise en œuvre tout au long de la réalisation des travaux effectués.
De la méfiance à la défiance [9]
Pour un retour à une société de confiance
La méfiance est inhérente à toutes les sociétés démocratiques dont la raison critique est un des fondements, le quatrième pouvoir, celui de l’information n’est-il pas constitué des professionnels indépendants de la méfiance que sont les journalistes dans leur pluralité. Ils permettent aux citoyens de s’informer librement, de former leurs jugements et de sanctionner par leurs votes ceux qui sollicitent leurs suffrages. Mais, depuis 1989, cette méfiance légitime se transforme en défiance, dans laquelle s’est dissoute l’indispensable confiance.
Or, l’analyse sociologique démontre que depuis plusieurs décennies, les sociétés modernes sont entrées dans une ère de défiance [10] envers les institutions qui les rendent perméables à toutes les aventures voire aux pires « démocratures ». La persistance d’un trumpisme [11] triomphant aux USA, malgré ou en raison d’une défaite électorale très courte, porte témoignage de cette défiance [12] institutionnelle qui sévit sur tous les continents. Contrairement à ce que la victoire démocrate pourrait laisser croire, le populisme est installé pour plusieurs générations aux USA, comme il l’est depuis plusieurs générations en Europe.
En France, la défiance envers les institutions a débuté, depuis 40 ans, en 1981 avec la volte-face de François Mitterrand et l’abandon du programme commun pour se manifester par une abstention record lors des élections européennes de 1989 [13] avec l’arrivée de Jean-Marie Le Pen au deuxième tour de l’élection présidentielle en 2002, l’élection de Jacques Chirac et sa condamnation par la Justice en 2011. Le point culminant de cette défiance sera la déclaration commune de tous les candidats à l’élection présidentielle de 2017 au cours de laquelle ils se sont tous présentés comme « candidats anti-système » quelles qu’aient été leurs fonctions antérieures. Cette défiance envers le « système » se double en France d’une irrémédiable défiance envers les autres, les lointains alors que les voisins sont privilégiés.
Cette double défiance explique que le Maire reste l’homme public politique qui conserve un prestige intact. Cette double défiance s’explique par le centralisme et la hiérarchie qui sévissent à tous les échelons de l’administration, de l’éducation, de l’entreprise et d’un système sanitaire hospitalo-centré. Cette double défiance s’explique aussi par le fait que les élites au sommet des hiérarchies n’ont pas confiance dans leurs administrés.
Cette sommation des défiances, à double sens et à contre-sens, constitue le défi démocratique que doit relever le monde de l’Après. En effet, ces défiances constituent le terreau dont se nourrissent tous les populismes.
Or le confinement social a commencé bien avant le confinement sanitaire avec l’exclusion de pans entiers de la société comme le montre cette nouvelle dichotomie de l’humanité conceptualisée par David Goodhart : les « somewhere » et les « anywhere [14]. Les somewhere se perçoivent comme les laissés pour compte, les exclus de la mondialisation, concurrencés par la robotisation, dépassés par l’Intelligence artificielle [15], déclassés en une sous-humanité, écartés de la distribution des richesses voire du simple « bien-être ».
Le confinement sanitaire n’est que le dernier en date et le révélateur de tous les confinements antérieurs. Ces confinements successifs, les errements réels ou ressentis dans la gestion de la crise sanitaire qui évolue depuis neuf mois, la persistance du risque d’implosion du système sanitaire qui constitue le maillon faible par excellence de notre société contribuent à accélérer cette perte de confiance des citoyens envers leurs gouvernants. Dans ce qui est devenu une culture du ressentiment, l’irresponsabilité collective se substitue à la responsabilité individuelle qui relevait de chaque citoyen et qu’il revendiquait fièrement.
Cet affaiblissement constant de la responsabilité individuelle a conduit les gouvernants à mettre en place un appareil coercitif et répressif d’une telle ampleur en France qu’il ne reste pratiquement rien des libertés fondamentales dont l’usage, devenu illégal sous l’effet des lois d’urgence sanitaire, est sanctionné avec une sévérité unique en Europe.
Cette défiance générale met en péril les démocraties libérales dans leurs fondements même.
La restauration de la confiance constitue le défi majeur des sociétés de l’Après [16], elle est cruciale pour que les citoyens puissent faire crédit à leurs dirigeants, le modèle suédois à l’œuvre pendant la crise sanitaire en constitue une illustration. C’est à l’action publique de mettre en œuvre les moyens de « réapprentissage » de la confiance réciproque entre les citoyens en eux et entre eux, entre les citoyens et les institutions économiques, sociales et démocratiques, entre ces dernières et les citoyens. Sauf à se sentir éternellement trahis, les citoyens doivent être inclus dans tous les processus décisionnels [17]. À la confiance horizontale interhumaine doit s’arrimer la confiance verticale être humain-institutions privées et publiques.
UN IMMENSE BESOIN DE PROTECTION
Cet immense besoin de protection s’est manifesté par l’adoption du principe de précaution dans le droit français à la faveur de la Loi Barnier de 1995, à la suite du sommet de la Terre de Rio de 1992 et des travaux du philosophe Hans Jonas (1903-1993 [18] publiés pour la première fois en 1979 en allemand. Combattu par le rapport Attali pour libérer la croissance de 2008 et par ceux qui sont convaincus de la nature prométhéenne de l’humanité [19], il est défendu par tous ceux qui se sont rallié à la décroissance, à la transition écologique et au développement durable sans aucune prise de risques [20].
Les gouvernements sont actuellement perçus comme incapables de protéger les citoyens des dérèglements économiques récents [21], des effets de la mondialisation, des conséquences de la révolution numérique qui ont tous contribué à une montée en puissance de la solitude sociale. Ceux qui en souffrent l’attribuent implicitement au manque d’investissements publics crédibles dans l’économie de la vie. Les sociétés post-industrielles sont marquées par des sociétés de services professionnellement dé-socialisantes. Les confinements successifs récents de la crise sanitaire avec une montée en charge générale du télétravail dans l’ensemble des activités n’ont fait qu’accélérer un phénomène déjà très perceptible mais marginal depuis une vingtaine d’années.
La conjonction de ces évènements dans un temps court, au regard de la durée d’une vie humaine, provoque une solitude sociale. Il est d’ailleurs remarquable de souligner que la solitude non consentie devient un champ d’études des neurosciences dans des sociétés où le télétravail deviendrait la norme et où la famille nucléaire est un modèle en régression au profit des familles recomposées. À cette solitude sociale s’ajoute le déclassement social réel, ressenti ou craint pour soi comme pour ses proches.
Entre autres révélations qu’a entraînées cette Apocalypse virale, l’humanité apeurée a clamé son immense besoin de protection rationnellement impossible à rassasier et a constaté des classements étonnants des degrés de protection offerts par les États à leurs ressortissants.
Là où étaient attendus les membres du G7 comme les plus performants vis-à-vis de la crise sanitaire sont apparus en leader la Nouvelle-Zélande et le Sénégal [22], alors que les États-Unis pointent à la 31e place des 36 pays analysés. C’est dire que chaque société a un niveau de résilience impossible à prédire face à des évènements où l’inconnu et l’incertain supplantent le prévisible et le reproductible.
Cette peur panique perceptible dans l’hystérie médiatique en France et dans le Monde se révèle au moment où cette protection semble être à son apogée dans les États-providence et à son hypogée dans les États totalitaires et dans les théocraties. Les sociétés du post-virus même rapidement vaccinées comme je le prévoyais dans la Lettre aux Francs-Maçons et autres Républicains du 10 avril gardent cette irrésistible, irrépressible et irrassasiable besoin de protection.
LA GOUVERNANCE
Le choc des civilisations [23] s’avère être une construction politico-intellectuelle fondée sur des stéréotypes essentialistes qui les imperméabilisent à toutes les formes de transculturalisme et qui sont autant de facteurs de divergences. Dans chaque civilisation s’opposent les forces totalitaires du Léviathan aux forces d’émancipation de la raison critique.
Mais, l’évolution du monde ne peut se concevoir que dans une appréhension profonde du fait religieux inhérent à l’espèce Homo sapiens.
La France qui est devenu le premier pays musulman d’Europe occidentale et que l’histoire a doté de la laïcité « à la française » en porte témoignage tout comme les évènements économiques [24] et politiques en Russie, en Amérique du Sud, aux États-Unis, en Inde, en Asie, etc.
La Gouvernance ne peut s’exercer sans qu’une attention toute particulière soit accordée aux droits des femmes en tenant compte des aspects religieux tant dans le respect des identités de chacun que dans celui de la réalité de l’autre [25].
À l’épreuve de la crise sanitaire, en 2020, chaque pays a pris une conscience suraigüe de son incapacité à « se sauver » seul et de son interdépendance à l’égard des autres pays, même et surtout si, comme chaque être humain, chaque pays privilégie le proche contre le lointain, le présent contre le futur.
En France, le jacobinisme politico-administratif centralisateur n’en finit pas de ne pas parachever sa décentralisation 40 ans après en épaississant à l’image des crues décennales les couches du « mille-feuilles à la française ». L’égalitarisme territorial a ainsi engendré des disparités qui paraissent impossibles à combler sauf à revenir à un volontarisme républicain en panne depuis les guerres de décolonisation.
Ce volontarisme républicain ne peut se satisfaire ni d’un nationalisme étriqué ni d’un indispensable localisme régional, ni d’un communautarisme réducteur, il doit s’étendre à toutes les entités intra et intercontinentales identifiées de façon pragmatique, en dehors de tout nouvel impérialisme colonisateur comme les « nouvelles routes de la soie » ou les achats massifs de terres sur tous les continents impulsés par le gouvernement chinois.
Cette gouvernance doit impérativement associer au volontarisme républicain une double démocratie représentative et participative ne sacrifiant ni au somnambulisme des uns ni aux automatismes des autres.
Cette gouvernance ne peut que s’inscrire à partir de l’existant mais doit y ajouter aux classiques dialogues Nord-Sud des entités jusqu’ à présent méconnues qui nécessitent des analyses sociologiques profondes dont en particulier celle des diasporas.
Cette gouvernance doit avoir comme principe fondateur une nouvelle conscience sociale et environnementale évoluant de proche en proche pour le bien-être des populations concernées associées aux réflexions qui les concernent
Cette gouvernance doit prendre en compte les migrations économiques, climatiques, politiques, religieuses, ethniques qui sont au cœur des nouvelles problématiques du Nouveau Monde dans lequel l’humanité entre inexorablement.
Cette gouvernance doit obéir à des impératifs géographiques, politiques, humains et moraux. Elle ne peut s’appuyer que sur une économie formelle éliminant toutes les formes de criminalité organisée (trafics d’êtres humains [26], de drogues, d’armes) et toutes les formes privées ou publiques de corruption » qui désorganisent toutes les sociétés qui en sont victimes [27].
Cette gouvernance doit dépasser le présent qui est devenu le seul horizon qui vaille pour nos contemporains, qui se soumettent à une « présentcrature », à « un omniprésent » livré à ses fanatiques ou comme l’écrit François François [28], un « présentisme apocalyptique » sans passé comme sans avenir.
Ces impératifs sont de l’ordre des impératifs catégoriques que s’imposent les Maîtres secrets pour leur non-prise en compte dans le Nouveau Monde.
DE LA SOLIDARITE A LA FRATERNITE
PAR LE SOLIDARISME
La Franc-maçonnerie, comme le précise la Constitution du Grand Orient de France, est une institution essentiellement philosophique, philanthropique et progressive. Les Hauts Grades Écossais reprennent et amplifient ces principes capitaux puisqu’à la devise générale de la Franc-maçonnerie française : Liberté-Égalité-Fraternité, elle associe celle de Foi-Espérance-Charité au sens étymologique des mots latins, Fides-Spes-Caritas.
La Foi ou Fides contient en elle-même toute la rhétorique de la méfiance-défiance-confiance exposée ci-dessus, elle ne constitue pas un donné mais elle est la résultante d’une construction continue.
L’Espérance ou Spes est programmatique pour les Francs-Maçons car elle est le moteur du Progrès, c’est pourquoi, elle est incluse dans la conclusion de la « Lettre ouverte aux Francs-Maçons et autres Républicains [29] » citée en introduction. La Charité est la Caritas, c’est-à-dire l’Amour Universel, c’est ce nom qui a précédé puis accompagné la philanthropie, concept forgé par Fénelon ce concept en 1712. En 1780, la création de la Société Philanthropique de Paris dont les fondateurs sont pour la plupart francs-maçons du Grand Orient de France qui a agrégé en 1773 la quasi-totalité des Loges maçonniques. Pour la première fois, en Occident, une Société laïque pratiquait la philanthropie aux côtés des organisations confessionnelles. Elle est au fondement de toutes les solidarités, elle a inspiré le solidarisme, elle est au cœur de la Fraternité.
À la fin du XIXe siècle, Émile Durkheim et son neveu Marcel Mauss ont fondé la sociologie moderne. Dans cette œuvre considérable il convient de mettre en exergue le travail séminal sur le don de Marcel Mauss (1872-1950) [30] qui a littéralement ouvert « les portes de nouveaux mondes » faisant du don et du contre-don un fait social total dont toutes les implications ne sont pas épuisées.
Les théories du care [31] qui se développent aux États-Unis puis en Europe depuis les années 1980 ont bénéficié d’un nouvel élan avec la crise de la Covid-19. Celle-ci a mis en évidence une fantastique recrudescence de toutes les formes de solidarité individuelle et collective. Cynthia Fleury en avait théorisé les implications pratiques dès 2018 [32]. Son expression pour celui qui pratique le care est la sollicitude qui est au centre de l’Utopie maçonnique.
Alain Caillé, l’un des fondateurs du MAUSS (Mouvement anti-utilitariste en Sciences sociales), est un des initiateurs du mouvement convivialiste [33] qui constitue une tentative intéressante de fédérer un grand nombre de chercheurs d’horizons disciplinaires multiples travaillant dans une union des solidarités fondées sur le bien-être et le bien vivre-ensemble.
Toutes ces solidarités nous incitent à les repenser aux lumières du solidarisme prôné par Léon Bourgeois (1851-1925) [34], franc-maçon du Grand Orient de France, présidera l’Assemblée Générale de la Société des Nations en 1920, Prix Nobel de la Paix en 1925.
L’actualité du solidarisme ne se dément pas il apparaît comme doctrine quasi-officielle mais non dite des Républiques Françaises des XXe et XXIe siècle [35].
Ce solidarisme dont Léon Bourgeois avait une vision mondialisée puisque dans le même temps qu’il écrivait Solidarité [36], il travaillait aussi à la Conférence Internationale de la Paix de Haye de 1899 en posant comme principe la nécessaire solidarité des nations. Pour lui, les solidarités individuelles, collectives et internationales, loin de s’exclure s’incluaient mutuellement [37].
L’élaboration d’un solidarisme renouvelée, philosophie politique de la Fraternité Universelle telle est le projet sous-tendu par le travail collectif entrepris ici.
CONCLUSIONS
Avant l’apparition de la Covid-19 qui a accaparé tout le temps de média disponible depuis le mois de mars 2020, l’humanité était promise par tous les collapsologues à une fin prochaine sous des formes parfaitement identifiées. L’anthropocène était la fin d’une certaine histoire climatique, l’intelligence artificielle et la robototisation de la planète conduiraient au chômage de masse et à une décroissance démographique inexorable, et la concentration des richesses creuserait des inégalités impossibles à combler réalisant une ghettoïsation d’un monde fractionnaire.
La décroissance, la transition écologique, le développement durable étaient les réponses attendues avec les oppositions classiques entre les scepticismes de tous bords. Elles sont toujours d’actualité mais, elles doivent être replacées dans une autre perspective.
Le Nouveau Monde est à repenser : il faut le repenser non pas avec les vieilles recettes reprenant les vieux ingrédients mais en l’inscrivant dans une charte sociale et environnementale ne confondant pas les fins et les moyens.
Dans la phase de reconstruction d’un Nouveau Monde à l’échelle planétaire, les fins sont le bien-être général et le vivre-ensemble, et non une illusoire emprise de pouvoirs oligarchiques de toutes natures ou la maximisation des intérêts particuliers.
Les moyens en sont une économie sociale et solidaire, une mise en commun des « communs [38] » dans des sociétés usufruitières de transmission, la réconciliation de la République et de l’Écologie [39], des services publics novateurs au service des véritables besoins du public.
Ce sont les bases sur lesquelles peut émerger un nouveau Contrat Social à l’image de celui qu’a proposé Rousseau en 1762 à la suite du renversement historique du Siècle des Lumières.
Comme devant tout nouveau commencement, il n’est pas d’autre issue que de renouveler le pari de Pascal, celui de l’audace, celui d’oser, celui d’oser proposer la Justice et la Paix qui sont les idéaux universels défendus par les Juridictions Écossaises Humanistes et d’en rechercher les principaux axes.
La méthodologie employée a donc consisté à transposer la méthode initiatique écossaise fondée sur l’usage symbolique du 9, à un objet social. Il suffisait, pour obtenir la réalisation souhaitée, d’associer, à tous les niveaux interventionnels, verticalité et transversalité, individualité et collectivité, base et pyramide, organisation et coordination, expertise scientifique et validation philosophique.
Les neuf thématiques retenues, les neufs thèmes identifiés dans chaque thématique ont provoqué un intense foisonnement intellectuel sur fond de confinement propice aux méditations intellectuelles prolongées.
La transposition de cette méthode, à toutes les étapes de la réalisation du projet a porté ses fruits avec une efficacité remarquable puisque les quelques 400 contributions émanant d’environ un millier de membres auront toutes bénéficié d’une triple expertise et constituent désormais un socle sur lequel les réflexions ultérieures pourront s’appuyer.
Cette méthode initiatique écossaise a cette extraordinaire capacité à ne pas se couler dans les grilles de lecture imposées et dans les codes de la technocratie d’État, dans les tentatives « publicitaires » d’accaparement par les entreprises privées de projets d’apparence éthique ou solidaire ou dans une quelconque pensée unique.
Réinventer un Nouveau Monde, c’est ce à quoi, nous avons tenté de contribuer en menant ce travail d’un nouveau genre.
Jacques OREFICE
Membre Actif du Suprême Conseil
Direction générale et Présidence du Conseil Scientifique du projet COR (conception-organisation-réalisation) des apports du Grand Collège des Rites Écossais au Livre Blanc « Après » du Grand Orient de France
[1] « Le Franc-maçon face à l’Anthropocène », Les Essais Écossais, volume 9, Éditions AMHG, 2018.
[2] Vladimir Jankélévitch, Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien, PUF, 1957.
[3] Gérald Bronner, La démocratie des crédules, PUF, 2013
[4] Rudy Reichstadt, L’opium des imbéciles, Grasset, 2000
[5] Sylvie Kaufmann, « Qui contrôle le débat public ? En France comme aux États-Unis, c’est devenu un enjeu crucial pour la démocratie. », Journal Le Monde, 18-11-2020
[6] Vincent Quivy, Incroyables mais …. Faux, Seuil, 2020
[7] Vanessa Wisnia-Weill, Les nouveaux pouvoirs d’agir, Collection « La République des Idées », Seuil, 2020.
[8] Bruno Deffains,Samuel Ferey, Agir et Juger, Comment les économistes pensent le droit, Éditions Panthéon Assas, 2010
[9] Yasha Mounk, Le peuple contre la démocratie, L’Observatoire, 2018.
[10] Yann Algan et Pierre Cahuc, La société de défiance, Éditions Rue d’Ulm, 2016.
[11] Richard Hofstadter, Le style paranoïaque dans la vie politique américaine, François Bourin, 2012
[12] Yann Algan et Pierre Cahuc, La société de défiance, Éditions Rue d’Ulm, 2016
[13] L’abstention supérieure à 50% lors du scrutin national des élections européennes de 1989.
[14] »David Goodhart, The road to somewhere, C.Hurst & Co. Ltd, 2017.
[15] « Éthique et Intelligence artificielle », Essais Écossais, volume n° 18, AMHG, 2019.
[16] Michaël Marzano, Éloge de la confiance, Hachette Pluriel, 2012.
[17] Muriel Flis-Trèves et René Frydman, Actes du colloque Confiance, Défiance, Trahison, PUF, 2020
[18] )Hans Jonas, Le Principe responsabilité, Champs, Flammarion, 2013.
[19] Gérald Bronner et Etienne Géhin, L’inquiétant principe de précaution, PUF, 2010
[20] Jean-Pierre Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé, Seuil, 2010.
[21] La crise financière de 2008
[22] In Magazine Foreign Policy, « Classement de la gestion Covid-19 », repris dans le journal USA To-Day daté du dimanche 6 septembre 2020.
[23] Samuel P. Huntington, Le choc des civilisations, Odile Jacob, 2000.
[24] « Aspects économiques du religieux », Essais Écossais, volume 11, AMHG, 2019.
[25] « Femmes en Religion. Religions de Femme », Essais Écossais, volume 21, AMHG, 2020.
[26] « L’esclavage, hier, aujourd’hui. Demain ? », Essais Écossais, volume 16, AMHG, 2019.
[27] La « mangeocratie » est un néologisme africain qui illustre bien la dévoration sociale provoquée par la corruption.
[28] Hartog, Chronos : l’Occident aux prises avec le temps, Gallimard, 2020.
[29] Jacques Oréfice, Lettre aux Francs-Maçons et autres Républicains, site AMHG, 2020.
[30] Marcel Mauss, Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques (1925), PUF, coll. « Quadriges », 2007.
[31] Agata Zielinski, « L’éthique du care, une nouvelle façon de prendre soin », in Études, tome 43, page 631à 641, 2010-2012.
[32] Cynthia Fleury, « Le care, au fondement du sanitaire et du social », SOINS, n°286, p. 51 à 54, juin 2018.
[33] Le Second Manifeste Convivialiste, pour un monde post-néolibéral, Actes Sud, 2020.
[34] Léon Bourgeois, Solidarité, Bibliothèque Républicaine, 2008.
[35] Olivier Amiel, Le solidarisme, une doctrine juridique et politique française de Léon Bourgeois à la Vème République, Parlement(s), n° 11 p. 149 à 160, 2009.
[36] Léon Bourgeois, Solidarité, Armand Colin, Paris, 1896.
[37] Marie-Adélaïde Zeyer, Léon Bourgeois, père spirituel de la Société des Nations, École des Chartes, thèse 2006.
[38] Gaël Giraud, in site Internet « Les Communs d’Abord », 2016-2017.
[39] Serge Audier, La Cité écologique. Pour un Eco-Républicanisme, La Découverte, 2020.