2. PREPARER 

Comment éviter le retour de la guerre et de sa barbarie et œuvrer à une "paix perpétuelle" ?

Lors de sa création en 1945, au lendemain d’une seconde guerre mondiale dévastatrice, l’ONU a été dotée par ses membres fondateurs d’un objectif prioritaire : le maintien de la paix et de la sécurité pour éviter que ne revienne la guerre « totale » et la barbarie qui s’en suit. Pour autant, des guerres dites limitées n’ont pas cessé, plusieurs génocides sont intervenus, notamment au Cambodge, puis au Rwanda ou au Soudan. L’emploi de la force armée reste pourtant une technique de résolution des litiges entre États. Comment expliquer cet échec (1) ? Comment surtout imaginer d’autres modalités qui éloignent plus effectivement le spectre des conflits meurtriers du XXe siècle (2) ?

1. LE DOUBLE ECHEC DE LA « SECURITE COLLECTIVE »

Cette interrogation s’inscrit dans une longue tradition de pensée. Elle a donné naissance au droit de la guerre comme à des institutions internationales de prévention des conflits. Mais, comme dans le mythe de Sisyphe, la guerre n’a cessé de faire retour au milieu des hommes, là au pied de la montagne qui porte le rêve d’une paix perpétuelle
À la suite de la première guerre mondiale, la Société des nations (SDN) avait représenté une première tentative cohérente pour prévenir le risque de guerre, grâce à une organisation internationale de sécurité collective. Le refus du Congrès des États-Unis d’Amérique de ratifier le traité constitutif de la SDN, comme le refus de doter la SDN de forces armées et donc de capacités d’action opérationnelles, ont paralysé cette espérance, dans laquelle Léon Bourgeois, avec d’autres, s’était investi (il a été le premier président de la SDN).
La création de l’ONU, en 1945, visait à tirer les leçons de ce premier échec, en adoptant des règles supposées plus réalistes : conseil de sécurité, droit de véto aux membres permanents, forces armées mises à la disposition de l’ONU, … Cette architecture a sans doute joué un rôle pour prévenir le risque de nouveau conflit mondial, frontal. Elle n’a pas été capable cependant de prévenir les conflits plus limités, qui se sont au contraire multipliés dans le sillage de la décolonisation et de la guerre froide (la confrontation se déplaçait sur les « théâtres dits « périphériques »).
Ce double échec a mis en évidence qu’il était illusoire de prétendre n’agir que sur « l’aval », sur la dernière étape d’une montée aux extrêmes dont les causes sont parfois profondes, parfois justes : un conflit peut apparaitre comme nécessaire à une évolution souhaitable et ne doit pas alors être évité. Il en est de même pour certaines guerres permettant de défendre la liberté ou la démocratie. Le discernement des moyens et de la fin de chaque conflit armé est capital. Chaque société doit toujours se demander si le moment présent est bien le moment pour le combat ou au contraire celui de la conclusion de la paix…
Les causes de la guerre armée sont de faits innombrables. On peut cependant les subsumer sous la figure philosophique du désir mimétique cher à René Girard, celui qui consiste à avoir ce que possède l’autre. Et concomitamment à protéger du désir d’autrui ce qui nous appartient (famille, espace vital de production, ressources). Dans cette concurrence se déclinant au niveau des familles, des clans, des peuples, des nations, des empires, interviennent bien évidemment la force et la sensation de puissance que donne la possession d’armes, soit pour se défendre soit pour attaquer. De l’équilibre des forces dépend le statu quo, source d’une paix armée qui là encore n’est qu’un palliatif. Car de la course aux armements vient aussi le risque de la destruction totale. Le monde est, depuis le début du 20ème siècle, dans un engrenage « ahrimanien », comme disait Henri Corbin (Ahriman dans le zoroastrisme est l’esprit démoniaque opposé au dieu Ahura Mazda).
Chaque génération prétend tirer les leçons du dernier conflit armé. A la lumière des ravages subis, la promesse s’élève immanquablement : « plus jamais cela ! ». Sauf que les guerres reviennent, avec leur macabre cortège. Il semble même au contraire désormais que tout déséquilibre, entraînant une pénurie de ressources, peut dégénérer en conflit. L’ONU a ainsi alerté sur les risques croissants liés à la pénurie d’eau et sur l’émergence de conflits de plus en plus violents liés à la répartition de cette ressource.
Une sorte de situation paradoxale s’est instituée : les organisations internationales s’efforcent de contenir les sources de conflits les plus lourds potentiellement de conséquences, mais n’interviennent que tardivement et peu efficacement dans les conflits pourtant sanglants qui se multiplient, au Yemen, au Congo…

2. UNE UTOPIE A TROIS OU QUATRE TEMPS

Comment favoriser un monde durable de paix ? Peut-être faudrait-il en réalité inverser l’ordre des facteurs, en recherchant d’abord la construction d’une « culture de la paix », susceptible de rayonner dans l’ordre international, au niveau des organisations interétatiques régionales, puis au niveau mondial.
L’idée qu’il convient de promouvoir une culture de la paix ne va pas de soi. Cependant, la première guerre à faire cesser, c’est celle de l’homme en son for intérieur : une véritable guerre sainte entre l’ombre et la lumière…La recherche de la pacification intérieure ne saurait, évidemment, suffire pour faire évoluer les diverses institutions nationales et surtout mondiales. Mais toute paix extérieure commence et débute par une paix intérieure, à savoir maitriser ses propres démons.
La culture de la paix, c’est aussi celle de la paix en actes, avec ses voisins, avec ses adversaires politiques, avec les autres, de manière plus générale. Faire la paix, rechercher la paix devrait s’apprendre, alors que trop souvent c’est la capacité à entreprendre des guerres incessantes qui est valorisée dans la société (l’éduction des garçons est ne ce sens une illustration de l’utilité d’une approche plus critique, « genrée »). Certes, il faut apprendre qu’une paix trop tôt conclue, comme l’achat d’un mauvais compromis n’est que pis-aller. Mais il faut aussi apprendre à identifier des instances d’appel et de rappel à la loi, qui écartent la guerre comme moyen.
Une deuxième piste de solution serait de déléguer à des organisations régionales une mission générale de maintien de la paix, et de les doter de moyens militaires permanents et/ou facilement mis à disposition par les États : à l’organisation de l’unité africaine (OUA), aux organisations régionales en Amérique du Sud ou en Asie, … Une telle orientation diminuerait les tentations des grandes puissances de jouer des divisions entre pays en développement, ou en leur sein des tentations de séparatisme.
Enfin, il faut rénover les modalités d’action de l’ONU, en lien appui à ces organisations régionales lorsque cela devient nécessaire. Le conseil de sécurité est compétent au premier chef pour assurer la paix et la sécurité internationale. Mais ses pouvoirs devraient être plus importants et élargis dans les domaines de la prévention des conflits ; ainsi que dans celui du rétablissement, du maintien et de la consolidation de la paix et de mesures coercitives. Il convient en effet de « traiter », de prendre en charge directement ou indirectement les iniquités économiques sur lesquelles tant de conflits se greffent. Il convient également de lui donner un rôle fortement accru dans la régulation du commerce des armes (qui devrait devenir un pendant des accords de maîtrise des armements). En effet, la relative facilité de se procurer les armes (fabriquées pour beaucoup par les pays développés) transforme souvent en massacres et en dévastations des conflits endémiques.
Bien entendu, une autre étape des profile dans cette utopie, l’idée d’un l’émergence progressive d’un gouvernement mondial. Surpopulation et concentration des habitats, surexploitation des terres et océans, modes de consommation intenables dans la durée, gestion déséquilibrée des eaux, des énergies, effet de serre : la prise de conscience de la vulnérabilité croissante du monde place les politiques au pied du mur. Il n’est-il pas trop tard pour inverser efficacement le cours des choses. Mais seule des progrès substantiels vers une gouvernance mondiale permettrait de réguler ces tensions nouvelles.
À l’heure où les tensions sont avisées, une telle perspective peut paraître bien irréaliste. Le multilatéralisme s’effrite, le nationalisme et la xénophobie s’invitent de plus en plus dans les parlements, les droits de l’homme et les solidarités, sont menacés, la violence collective se propage à bas bruit : massacres de populations, assassinats de journalistes, d’écologistes ou d’opposants politiques, noyades de migrants en Méditerranée... L’universalisme est contesté par les particularismes de toute nature. Or, il est le dépositaire de la puissante volonté de paix. Mais justement, une prise de conscience que nous allons ainsi vers l’impasse est possible.
Il est donc indispensable de continuer à revendiquer de donner davantage de pouvoir à l’ONU, pour qu’il puisse régler, en deuxième ligne, des problèmes territoriaux, ethniques, religieux ; ou aider à atténuer les grandes iniquités économiques, sources de conflits graves. Maintenir la paix sur le terrain est déjà en soi une chose fondamentale. Le maintien de la paix s’est révélé par le passé un des outils les plus efficaces pour aider nombre de pays sur le difficile chemin du conflit à la paix. Il faut qu’à l’avenir les opérations de la paix multidimensionnelles ne servent pas seulement à maintenir la paix et la sécurité, mais aussi à faciliter les processus politiques, la protection des populations civiles, l’aide au désarmement, à la démobilisation et à la réintégration sociale des anciens soldats. Il faut aussi appuyer les processus constitutionnels et l’organisation d’élections libres et démocratiques sur le terrain.

haut de page