2. PREPARER 

Comment rééquilibrer, pour le plus grand nombre, le rapport entre localisme et cosmopolitisme ?

La mondialisation a éloigné les bornes du sentiment d’appartenance. Elle a creusé un fossé entre ceux qui ont les pieds dans la glaise (ils sont de « somewhere ») et ceux qui passent allégrement d’un lieu à l’autre (ceux d’« anywhere »). L’idée de mondialisation harmonieuse, peut-être naïve, s’est estompée (1). Pour autant, le repli n’est pas une option (2). Il nous faut donc inventer une manière renouvelée de construire des ponts entre ancrage local et démarche universaliste (2) et retisser des liens entre le local et le global (3).

1. UNE IDEE NAÏVE DE LA MONDIALISATION HEUREUSE S’EST ESTOMPEE

Depuis une décennie, la globalisation s’est amplifiée par la mise en place de nombreuses chaînes de valeur, qui consistent à « segmenter » la fabrication d’un bien dans différents lieux afin de réduire les coûts de production. Le développement des télécommunications et la digitalisation de l’économie ont accéléré ce processus, qui profite également à la Chine, à l’Inde et à de nombreux pays émergents.
Mais la crise sanitaire due au Coronavirus a mis en évidence les limites de la mondialisation. En l’espace de quelques semaines, la phase de mondialisation la plus profonde de l’histoire, tant sur le plan commercial, que financier ou encore touristique, s’est brutalement interrompue : les frontières ont fermé les unes après les autres ; les nations se sont cloîtrées et les familles confinées ; les flux commerciaux ont été gelés ; les chaînes de valeur et les chaînes logistiques fortement perturbées. Seule a continué la mondialisation technologique et informationnelle puisque nous n’avons jamais autant communiqué par internet et consommé de bande passante, au point que des craintes surviennent quant à la solidité des architectures réseau, et nous rappellent là encore à quel point nous sommes vulnérables.
La crise de la Covid-19 a révélé brutalement, en outre, les risques d’un recours sans précautions et sans ciblage à ce mode de spécialisation ou de répartition internationale des activités Nous devons à l’avenir remettre en cause cette dynamique de chaînes de valeurs en organisant la diversification des sources d’approvisionnement, au moins dans le domaine sanitaire et pharmaceutique (masques, tenues de protection, antibiotiques), afin de réduire notre dépendance vis-à-vis de certains pays étrangers et/ou hors l’Union européenne. Nous devons également nous prémunir au niveau européen contre les pénuries en créant une Réserve « stratégique » des produits essentiels. Un premier pas est déjà franchi avec le programme européen RescUE pour répondre à ce risque. On découvre que se protéger ne signifie pas le protectionnisme. L’autonomie ne signifie pas l’autarcie.
Se protéger c’est pouvoir faire face à des situations d’extrême vulnérabilité ou dépendance face à des fournisseurs étrangers. La mondialisation ne se repose pas que sur des réseaux fluides et accessibles à tous, mais aussi sur des « entraves » stratégiques, dominées par certains acteurs qui contrôlent et agissent à leur avantage. Il faut donc également organiser la relocalisation de certaines activités près des lieux de consommation en dépit d’un éventuel renchérissement du coût des biens. Cela sera d’ailleurs plus conforme aux impératifs écologiques. L’utilisation des procédés technologiques alternatifs comme la généralisation de la production des petites séries grâce aux imprimantes 3D peut y contribuer. Il faudra donc trouver un nouvel équilibre entre les impératifs de souveraineté et de sécurité des États européens d’une part et la réaffirmation de principe de l’utilité de l’interdépendance et l’ouverture des marchés d’autre part.
À défaut d’une telle réflexion, on se rend vulnérable à des pulsions protestataires. Beaucoup de pays commencent en effet à prendre la voie de l`ultra-nationalisme, qui est une offre politique poussée par tous les manquements qui se sont révélés pendant la crise. Or, c’est bien par un dépassement de cet horizon que les valeurs héritées des Lumières pourront être préservées dans et par un nouvel équilibre entre localisme et cosmopolitisme.

2. UN EQUILIBRE A DEFINIR ENTRE LOCAL ET LOINTAIN

Est-ce à l’abri de la notion de frontière et de nation que ce travail doit se faire ? C’est en fait tout un nouvel horizon qu’il faut bâtir. La notion d’altérité est à reconstruire, à la lumière de l’héritage d’universalisme venu en droite ligne des Lumières. Ne peut-on viser un point d’harmonie entre l’ici et le lointain, le dedans et le dehors, le semblable et le différent ?
Qu’appelle-t-on, de ce point de vue, localisme et cosmopolitisme ? Plus concrètement, comment modérer les dégâts occasionnés par le tourisme de masse et le business mondialisé ? Rééquilibrer, c’est bien sûr réguler, mais avec le projet de mieux ouvrir nos sociétés à la différence sans faire de cette différence une marchandise dépréciée ? Réparer, ce n’est pas proclamer ou se jucher sur les éternels « Y a qu’à ». Notre niveau de vie ne peut pas simplement se partager avec l’ensemble des habitants de la planète, ni la France accueillir tous ceux qui veulent y venir vivre.
Les Français, les Européens ont bien conscience qu’existe là une menace. Pour autant, l’extrémisme, cet usage politique de l’anxiété, ne peut que rendre chacun frileux car inquiet de se sentir potentiellement submergé. Rien n’importe plus que de fixer des bornes administratives et budgétaires claires pour rassurer et avec ce sentiment retrouvé pour rendre plus généreux, plus ouverts, plus tolérants nos concitoyens. Le choix pour la coopération plutôt que le chacun pour soi peut réconcilier les sentiments qui s’opposent dans la société : celui de la sécurité, celui de confiance et celui de l’équité.
Le penseur Edgar Morin expose les contours d’une nouvelle politique résolument humaniste inspirée des principes de la République : Liberté, Égalité, Fraternité. Selon lui, seules des réformes de l’État, de la démocratie, de la société, de la civilisation, liées à des réformes de vie, permettraient de conjuguer de manière judicieuse mondialisation et dé-mondialisation, croissance et décroissance, développement et « enveloppement », ce dernier terme faisant référence à la communauté et la solidarité [1]. S’agissant de la méthode, le pari de l’exemple individuel peut être fait qui induit le quartier, du quartier qui induit le village, lui-même le canton, la nation, le continent… Au ruissellement consumériste, opposons la capillarité vertueuse. Ainsi retrouverons-nous une harmonie intime, par une conscience apaisante et une redéfinition réaliste et humaniste de la « vie bonne ».
Le sociologue Hartmut Rosa prône la « résonance » et une nouvelle relation au monde. Il faut bien le dire les sources d’inspiration ne manquent pas dans cette voie redécouverte, Épicure déjà nous conseillait « d’écouter la Nature. Car celle-ci fixe une limite absolue à nos désirs (…) alors que la richesse selon l’opinion tombe dans l’illimité » … « Simplifiez » nous disait encore Thoreau. N’ayons pas peur d’être contemplatif, retrouvons la beauté de la proximité, les sons de la nature, la sobriété de l’instant. Et enseignons cela à nos enfants inondés d’activités par une hyper parentalité culpabilisante.

[1Il ajoute à ce « programme » des mesures relatives à la construction d’une norme de justice éducative, à la taxation des émissions carbone, à des bons pour l’égalité démocratique, brossent le tableau d’une démocratie plus participative et plus égalitaire.

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