Comment renforcer le rayonnement de la recherche française, comment renforcer la coopération dans les domaines de la recherche et du développement
Le rayonnement scientifique d’un pays dépend de sa présence dans les grands projets internationaux et dans les médias scientifiques. Ces deux conditions dépendent de la qualité de sa recherche. La recherche est menée par des personnels : chercheurs, administratifs… grâce à divers équipements. Personnels et matériels nécessitent des crédits distribués par les pouvoirs publics pour la recherche fondamentale, avec une participation du secteur privé pour la recherche appliquée.
La recherche fondamentale est essentiellement menée par le secteur public, c’est-à-dire l’ensemble des institutions de recherche publique et les universités. Les industriels financent peu de recherche fondamentale ; lorsqu’ils en font, c’est souvent dans le cadre de partenariats subventionnés par le secteur public.
La qualité des personnels ne semble pas pouvoir être mise en cause : pour chaque poste, après la présélection, on compte une moyenne une cinquantaine de postulants, tous 5 à 10 ans post-bac, ayant effectué plusieurs stages de longue durée dans des universités étrangères, et comptant déjà à leur actif plusieurs publications dans des revues de premier ordre.
LES CARRIERES DE LA RECHERCHE EN FRANCE
En la personne de ses deux secrétaires perpétuels, l’Académie des sciences écrit : « De façon emblématique, la “misère” du jeune chercheur, celle qu’il connaît après son recrutement, que ce soit dans un organisme de recherche ou dans une université, représente une des plus grandes faiblesses du système actuel : un salaire de début de carrière indigne, une absence totale de l’accompagnement financier qui lui fournirait les moyens de la recherche pour laquelle il a été recruté [1] »
Avec un salaire brut moyen de début d’environ 2000 € par mois au CNRS, la plupart du temps inférieur à celui qu’il avait en post-doc dans une université étrangère, à un âge de recrutement d’environ 30 ans : cherchez l’attractivité…
VOYAGE EN ABSURDIE
Une fois nommé sur un poste, le jeune chercheur devrait pouvoir travailler : en fait il va devoir partir à la chasse aux financements. Les formulaires à remplir sont une allégorie du mythe de Sisyphe (voir la remarque du Conseil d’État du 9 juillet 2020, qui parle de « financements sur appels à projets de l’Agence nationale de la recherche (ANR), critiqués pour la lourdeur de leurs modalités et leurs coûts [2]. »). Si son projet est accepté (probabilité = 16 %), il faudra attendre le déblocage des crédits (plusieurs mois), rapidement penser à la rédaction du rapport de mi-parcours, qui doit être envoyé 3 mois avant l’échéance, et qui conditionne la suite de la subvention… qui en règle générale se voit amputée suite à diverses restrictions budgétaires… Entre temps, naturellement, pour assurer la continuité de la recherche, il aura fallu s’atteler à la demande suivante, bien avant la clôture du projet en cours. On estime qu’actuellement un directeur de recherche passe 1,5 jour par semaine à différentes démarches administratives.
Au contraire de l’Allemagne, le fonctionnement de la recherche française est donc une sorte de voyage en Absurdie, même au plan économique, puisque l’État s’engage à payer pendant plusieurs dizaines d’années le salaire d’un chercheur, tout en ne lui donnant pas les moyens de travailler correctement.
LE FINANCEMENT DE LA RECHERCHE EN FRANCE : DISCOURS DE LA METHODE, OU METHODE DU DISCOURS ?
Antoine Petit, directeur général du CNRS [3] écrit en 2019 : « Nous sommes le seul des grands pays scientifiques dont les dépenses en faveur de la R&D, publiques et privées, ont stagné depuis une vingtaine d’années, à environ 2,2 % du PIB. Dans le même temps, celles de l’Allemagne ont augmenté de 35 % et dépassent aujourd’hui 3 %, et celles des pays de l’OCDE ont augmenté de plus de 20 % en moyenne ».
Or, il y a plus de 20 ans, des engagements avaient été pris pour monter la part du PIB dans la recherche à 3 %. La promesse n’a jamais été tenue.
Commentant le débat du 18 mars 2019, Serge Harroche, (professeur au Collège de France, Médaille d’Or du CNRS en 2009, Prix Nobel de physique 2012), se montre assez déçu, parlant de « portes ouvertes » qu’on enfonce allègrement, du genre : « la recherche fondamentale est le terreau sur lequel se développeront les innovations. Les innovations sont le terreau sur lequel se développeront l’économie et les emplois du futur » … bref, un florilège de lieux communs entendus depuis plusieurs décennies.
Dans le même ordre d’idées, ces 10 dernières années, l’Académie des Sciences a émis à plusieurs reprises des mises en gardes contre l’abandon d’une recherche scientifique de qualité en France, concrétisée par des réductions continues des crédits et des recrutements
LE PROBLEME DE L’ORIENTATION DE LA RECHERCHE : LA PRISE DE RISQUE
Les questions, les sujets de recherche et les directions à explorer en recherche fondamentale ne peuvent venir que des chercheurs eux-mêmes : c’est la « science de nuit » de François Jacob : « La science de nuit, au contraire, erre à l’aveugle. Elle hésite, trébuche, recule, transpire, se réveille en sursaut. Doutant de tout, elle se cherche, s’interroge, se reprend sans cesse. C’est une sorte d’atelier du possible où s’élabore ce qui deviendra le matériau de la science [4]. »
La notion de risque est portée aux nues par les thuriféraires d’un libéralisme qui se déclare « pragmatique » et déclame à longueur de temps qu’il faut savoir « sortir de sa zone de confort »… Or, la recherche est par définition une prise constante de risque ; mais, simultanément, les chercheurs se voient refuser cette notion de risque dans des domaines qui seront pourtant les supports de l’innovation et du développement économique de demain (myopie temporelle ou mauvaise foi ?). Tout se ramène à une gestion comptable, qui évoque irrésistiblement la « Loi du marteau » généralement attribuée à Abraham Maslow : « pour celui qui ne dispose que d’un marteau dans sa trousse à outils, tous les problèmes finissent par ressembler à des clous » …
Dans cette ligne de réflexions, on ne peut que déplorer l’inculture scientifique de l’immense majorité des responsables, en remarquant au passage que la Chancelière fédérale allemande est docteur en chimie quantique [5] ».…
MANQUE D’ATTRACTIVITE DE LA RECHERCHE FRANÇAISE, RAYONNEMENT ET COOPERATION INTERNATIONALE
Ce manque d’attractivité de la recherche française fait également que beaucoup de chercheurs étrangers ne postulent pas : on voit très peu d’étudiants américains demander à venir travailler en France : la plupart des candidats étrangers proviennent de pays plus mal lotis et partent vers d’autres cieux dès leur thèse soutenue. Par ailleurs, la dichotomie entre les grandes écoles et l’université, les structures de recherche « propres » et « mixtes » constitue également un handicap pour la recherche française : vu de l’étranger, le système est illisible, trop complexe, trop franco-français.
L’EUROPE
Face à l’essor de grandes puissances étrangères comme la Chine, l’Europe s’est dotée d’une recherche scientifique de valeur. L’European Research Council dispose de crédits importants, mais ceux-ci ne reviennent finalement pas en France, qui ne développe pas de « Grands Projets » (par exemple : les technologies quantiques)
LA NOUVELLE LOI DE PROGRAMMATION PLURIANNUELLE DE LA RECHERCHE (LPPR) DE 2020
Le projet de loi a été présenté au Conseil des ministres du 22 juillet 2020 par la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. La procédure accélérée a été engagée par le gouvernement.
Ce projet affiche trois ambitions principales : mieux financer et évaluer la recherche publique, améliorer l’attractivité des métiers de la recherche et rénover les rapports entre la science et la société.
Cela devrait passer par l’attribution de nouveaux moyens pour la recherche publique ainsi que pour l’Agence nationale de la recherche (le taux de succès des appels à projets passerait ainsi de16 à 30%).
De nouveaux type de contrats sont créés, dont les « chaires de professeurs juniors », pour une période de six ans au plus (équivalent des « tenure track » anglo-saxons), et les « contrats à durée indéterminée de droit public », en vue de recrutements destinés à « mener à bien un projet ou une opération de recherche identifiée », prenant fin avec la réalisation du projet ou de l’opération.
Les salaires devraient être revalorisés, et une allocation de démarrage devrait être débloquée. Les liens entre public et privés seraient renforcés par diverses dispositions facilitant les interactions entre les chercheurs et les entreprises : une nouvelle forme de collaboration est créée, autorisant les chercheurs fonctionnaires à devenir associés ou dirigeants d’une entreprise déjà existante, ce qui serait un grand progrès.
Ce projet a néanmoins essuyé de nombreuses critiques :
* le Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE) juge que la « programmation financière n’est pas à la hauteur des défis considérables auxquels notre pays doit faire face », écrivent ces représentants du monde socioprofessionnel [6] ;
* le monde de la recherche lui-même, le premier concerné, regrette l’étalement programmé sur 10 ans des mesures financières, et l’apparition de nouveaux statuts précaires : « Lorsque vous êtes précaire et que votre salaire dépend de ce que vous allez publier en fin de mois, vous n’allez pas faire les mêmes recherches que si vous aviez le temps [7]. » ;
* l’Académie des Sciences, a exprimé « sa déception sur le projet de loi LPPR ». Elle reconnait « l’ambition forte de revalorisation des carrières des chercheurs, d’augmentation des effectifs y compris du personnel technique et administratif, d’appuis plus fort au démarrage des jeunes chercheurs et aux établissements de recherche à travers l’ANR [8] », mais elle met fortement en doute la capacité de mise en œuvre de cette loi : « l’effort budgétaire, modeste et étalé sur 10 ans, ne permettra certainement pas d’assumer ces nouvelles ambitions. En effet, l’inflation naturelle sur cette période de temps effacera une grande partie des sommes supplémentaires inscrites dans la loi » ;
* le Conseil d’État, quant à lui, pointe la création de nouveaux contrats précaires et relève que « la multiplication des possibilités, déjà nombreuses, de recruter des agents contractuels, sans qu’il soit possible de dégager des modifications proposées des critères simples et clairs, ne contribue pas à la lisibilité du dispositif ni à la bonne appréciation de ses conséquences ». Il observe, comme l’Académie des Sciences, que la période de programmation budgétaire retenue (2021-2030) est « particulièrement longue et paraît sans précédent à cet égard pour une loi de programmation ». Il souligne également qu’avec un tel horizon, la portée de la programmation des crédits budgétaires ne peut être que limitée, spécialement en fin de période ;
* enfin, « last but not least », le Conseil d’État remarque que « les prévisions et trajectoires que présente cette loi de programmation des finances publiques sont aujourd’hui largement caduques, en raison des effets de la crise sanitaire survenue depuis son adoption [9]. » …
EN CONCLUSION
Cela semble une évidence : diminuer les recrutements et réduire les crédits ne peut que handicaper la recherche française. Si on a pu faire des économies au moyen de certaines réorganisations, elles ne sont que marginales et épuisées depuis longtemps. « Tout le monde voit bien l’impact qu’ont pu avoir des grandes découvertes scientifiques, techniques sur la démocratie. Tout le monde voit bien aussi que des grandes avancées démocratiques peuvent transformer le cadre dans lequel la science réfléchit, travaille, avance, débat » rappelait Edouard Philippe, premier ministre, à la cérémonie du 80ème anniversaire du CNRS [10] .
Les faits sont têtus (les scientifiques le constatent quotidiennement dans leurs laboratoires) ; il est peut-être encore temps de réagir, mais étant donnée l’inertie du phénomène, plus le temps passe, plus il devient difficile d’inverser la tendance… sinon, progressivement, nous courons le risque de devenir un pays « à la traîne » qui se contente d’acheter les innovations réalisées ailleurs.
[1] Pascale Cossart et Étienne Ghys, Secrétaires perpétuels de l’Académie des sciences. Communiqué de presse du 12 juillet 2019..
[2] Conseil d’État : https://www.conseil-etat.fr/ressources/avis-aux-pouvoirs-publics/derniers-avis-publies/avis-sur-un-projet-de-loi-de-programmation-pluriannuelle-de-la-recherche-pour-les-annees-2021-a-2030. Consulté août 2020)
[3] Voir ref 3.
[4] François Jacob, Communication à l’Académie des sciences morales et politiques, 26 janvier 1987.
[5] Angela Merkel : Sa thèse de doctorat en chimie quantique, soutenue en 1986, a bénéficié de la mention « très bien ». Elle est intitulée « Étude du mécanisme des réactions de décomposition avec rupture de la liaison simple et le calcul de leurs constantes de vitesse sur la base de la chimie quantique et des méthodes statistiques
[6] Avis du CESE sur la programmation budgétaire du projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche. JOURNAL OFFICIEL DE LA REPUBLIQUE FRANCAISE Mandature 2015-2020 – Séance du mercredi 24 juin 2020.
[7] Sébastian SEIBTE. France 24, 13/07/202
[8] L’Académie des sciences. Communiqué de presse 03 juillet 2020.
[9] https://www.conseil-etat.fr/ressources/avis-aux-pouvoirs-publics/derniers-avis-publies/avis-sur-un-projet-de-loi-de-programmation-pluriannuelle-de-la-recherche-pour-les-annees-2021-a-2030. (consulté août 2020)
[10] Voir réf. 2.