Comment revaloriser les métiers de la recherche et y maintenir nos élites ?

La réponse est pratiquement dans le libellé de la question.
La recherche est une activité qui coûte cher en général, en salaires de chercheurs, ingénieurs et personnels administratifs, en équipements. Certes, selon les disciplines, les équipements sont plus ou moins onéreux, mais n’oublions pas qu’il ne faut jamais évaluer la valeur d’un résultat à l’aune du prix du matériel qui a servi à l’obtenir : en raisonnant ainsi on serait passé à côté de la théorie de la relativité, et nous ne disposerions pas de GPS. Les recherches en linguistique ont permis l’apparition de moteurs de recherche performants.

On peut sérier les problèmes de la manière suivante :

DES SALAIRES FAIBLES, malgré un niveau de recrutement très élevé.
Jules Hoffmann, prix Nobel de Physiologie - Médecine 2011, lors du débat de mars 2019 [1] a publiquement jugé « honteuse » la situation des jeunes chercheurs en France, rappelant au passage l’avis de l’Académie des Sciences, qui considérait la «  faiblesse indigne des salaires des doctorants, des chercheurs et des enseignants-chercheurs [2] interview de Serge Harroche, prix Nobel de Physique. » ; ou encore, sous la signature de ses deux secrétaires perpétuels : «  De façon emblématique, la « misère » du jeune chercheur (…) « un salaire de début de carrière indigne, une absence totale de l’accompagnement financier qui lui fournirait les moyens de la recherche pour laquelle il a été recruté [3]. »
En moyenne, pour chaque poste mis au recrutement au CNRS, une cinquantaine de candidats se présentent. Ils sont tous docteurs, ils comptent tous plus de 10 ans d’études postbac, pratiquement tous ont passé plusieurs années en spécialisations à l’étranger, et représentent donc une masse de connaissances et un carnet d’adresses internationales inappréciable et actualisé ; et c’est l’ensemble des citoyens qui, par les impôts, ont financé ces formations.
Ces recrutements tardifs ont des conséquences à court terme, sur les conditions de salaire (au CNRS : 1,5 SMIC),
et à plus long terme (comment un docteur qui trouve son premier emploi à 30 ans, et dont la limite d’âge est de 65 ans, pourra-t-il avoir une retraite complète ?)
En conséquence, les bons étudiants préfèrent devenir ingénieurs, qui seront recrutés à 24 ou 25 ans sur un poste fixe avec un salaire attractif qui leur permettra d’envisager une vie de famille normale. On loue le chef d’entreprise qui prévoit l’avenir pour protéger sa structure : peut-on reprocher cette même qualité à une personne ?

LES DIFFICULTES D’EVOLUTION DES CARRIERES

L’université française a développé le concept d’enseignant-chercheur : c’est un enseignant titulaire qui partage statutairement son activité entre l’enseignement supérieur et la recherche scientifique. Au cours des dernières décennies l’Université dû faire face à un accroissement considérable du nombre d’étudiants et l’urgence s’est donc déplacée vers les moyens d’accueillir ces étudiants. Une étude de la Banque Mondiale de 2009 impute le faible niveau relatif des universités françaises à l’absence de sélection : «  Les universités françaises sont mal classées car il n’y a presque pas de sélection des étudiants qui entrent dans l’enseignement supérieur [4].. »
En réponse au taux de succès record du baccalauréat 2020 (plus de 91%) le ministère annonce 10 000 places supplémentaires pour la rentrée. Mais la plupart de ces places seront affectées aux formations courtes, aux filières sanitaire et sociale ou paramédicale [5].

BAISSE DES RECRUTEMENTS

Paradoxe invraisemblable dans une nation qui se flatte de faire partie de l’élite mondiale : depuis 2005, au total, 1.581 postes de scientifiques (chercheurs, ingénieurs, techniciens) ont été supprimés au CNRS [6]. Des chercheurs de talent, découragés par une précarité sans fin et sont partis dans l’enseignement secondaire. Des ingénieurs et techniciens bien formés aux techniques utilisées se sont vus remplacés par plus jeunes et moins efficaces pour éviter qu’ils puissent revendiquer une embauche sur un poste [7] .

DES DOCTORATS PEU VALORISES

En France, le titre de « docteur » a été monopolisé par les professions de santé, et la formation par la recherche est peu reconnue. En général, les entreprises, frileuses, privilégient des critères d’école, rassurants mais peu audacieux. « On voit donc que la recherche « académique » ne pourra fonctionner convenablement que lorsque l’ensemble du monde économique se sera convaincu de la qualité spécifique d’une formation par la recherche ».
Cette remarque doit être pondérée par le succès des contrats de type CIFRE (La Convention Industrielle de Formation par la REcherche, apparue en 1981), qui permet aux entreprises, contre une subvention, de co-encadrer une thèse. Beaucoup de ces étudiants intègrent ensuite l’entreprise qui les a formés, mais s’orienteront alors vers une recherche à court terme, de type incrémental.

EN CONCLUSION

La structure de la recherche française, la volatilité des crédits de recherche, la précarisation des chercheurs ont comme effet de rendre très difficile la recherche à long terme. La dépense intérieure de recherche et développement en France est de 2,27 % du PIB en France alors qu’elle atteint 2,9 % en Allemagne, 2,8 % aux États- Unis et 4,3 % en Corée du Sud. En conséquence, les jeunes chercheurs se tournent vers d’autres secteurs plus lucratifs offrant de vraies opportunités de carrière : le « bénévolat » a ses limites…
Lors du débat de mars 2019, Serge Haroche, prix Nobel de physique, déclarait : « la France décroche de la compétition internationale en science ».
Emmanuel Macron, en réponse au physicien, reconnaissait la «  paupérisation intégrale  » du système de recherche français [8].
S’il y a donc dévalorisation du système de la recherche en France, cela résulte d’une inattention de plusieurs décennies de la part des pouvoirs publics, et quelques affaires récentes comme la démission du ministre Nicolas Hulot montre qu’en l’affaire c’est Bercy qui a la main. Ce manque de perspectives est une faute politique grave qui handicape l’avenir économique et le « sofpower » du pays.

Allons-nous vers un changement de méthode ?
Le discours de politique générale du premier ministre, devant l’assemblée nationale, pourrait nous inciter à le croire :
« Tout en ayant le souci de la mise en œuvre concrète, au plus près de nos concitoyens, l’État, dans le même temps, doit aussi retrouver les voies de l’anticipation. L’action de l’État est trop souvent réduite à la simple gestion des crises et des urgences. Nous avons progressivement perdu notre capacité à nous projeter dans le long terme. A planifier une politique économique à identifier les gisements de croissance futurs, à définir une perspective, à fixer un cap [9]. »

Tout espoir n’est donc pas perdu.

[1Virginie Malingre. Le Monde, le 19 mars 2019.

[2France culture (La Grande table, Olivia Giesberg, 26 mars 2019)

[3Pascale Cossart et Étienne Ghys, Secrétaires perpétuels de l’Académie des sciences. Communiqué de presse du 12 juillet 2019.

[4Marie-Estelle Pech. Le Figaro, 14 juillet 2009

[5Le Monde avec AFP. Le Monde, 21 juillet 2020.

[6Syndicat national des chercheurs scientifiques. Décrochage inédit de l’emploi scientifique au CNRS. octobre 2018.

[7Sylvestre Huet. Le Monde, 25 mars 2019.

[8Virginie Malingre, Le Monde, 19 mars 2019.

[9Jean Castex : Déclaration de politique générale de M. Jean Castex, Premier ministre, à l’Assemblée nationale.15 juillet 2020. https://www.gouvernement.fr/partage/11654-declaration-de-politique-generale-de-m-jean-castex-premier-ministre-assemblee-nationale.(consulté août 2020).

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