2. Pour des formes d’interventions publiques renouvelées dans l’économie 

L’entreprise sur un mode "partenarial"

Le sentiment d’appartenance à une communauté est indispensable pour faire vivre l’esprit d’équipe dans l’entreprise, autour d’un objectif commun soutenu par des logiques de loyauté, de confiance et de réciprocité. La manière la plus naturelle de nous relier les uns aux autres passe par ces sentiments (« moral concerns ») et pas uniquement par un calcul des coûts et des avantages. La plupart d’entre nous sommes naturellement enclins à coopérer et à éprouver des sentiments distincts de nos calculs économiques individuels. Cet aspect du capitalisme, présent chez ses premiers théoriciens a été considérablement atténué au fur et à mesure que se mettaient en place des structures financières et juridiques, conduisant les dirigeants d’entreprises à se concentrer exclusivement sur la valeur actionnariale.

En France, parmi les questions posées dans le cadre de la loi PACTE, une des plus discutées a concerné la définition de l’objet social de l’entreprise. Comment redéfinir en effet le rôle de l’entreprise face aux enjeux environnementaux et sociaux qui s’imposent à elle d’une manière pressante ? Au Royaume-Uni, le British Institute of Directors a déclaré que les conseils d’administration devraient être restructurés, « afin que chaque membre soit légalement responsable de tous les intérêts potentiels des parties prenantes de l’entreprise ».

Que ces déclarations soient ou non des réponses adaptées, il semble aujourd’hui acquis que les entreprises ont un rôle considérable à jouer dans les mutations en cours. Elles sont certainement le meilleur environnement dont nous disposons pour identifier et développer des solutions pratiques à nos problèmes, en favorisant des processus de délibération et de coopération collectives indispensables pour répondre aux défis actuels. Notre réflexion devrait donc consister à rechercher – de façon pragmatique – les meilleures solutions pour « aligner » les incitations de l’ensemble des parties prenantes au système, de manière à ne pas dissiper le potentiel considérable de l’entreprise pour porter le progrès social. Cela suppose de dépasser ou de desserrer la contrainte du profit (1) et d’enrichir en les diversifiant les objectifs assignés aux entreprises (2).

1. DEPASSER LA CONTRAINTE DU PROFIT

La relation client-fournisseur connait des dérives de plus en plus marquées, qui souvent ont pris le pas sur la recherche commune de la satisfaction du besoin de l’utilisateur : recherche du gain maximum de part et d’autre, judiciarisation de la relation, tentatives d’influence (publicité, lobbying), etc… Ces dérives sont nuisibles à l’intérêt général et génératrices de stress chez les acteurs, du côté client comme du côté fournisseur, obligeant souvent ces acteurs à agir en contradiction avec leurs valeurs personnelles.

Par ailleurs, la crise sanitaire, en provoquant la pénurie de certains biens, a mis en lumière la nécessité de sécuriser les approvisionnements considérés comme indispensables à la nation et, pour cela, d’en relocaliser la production. Il semble aujourd’hui que la voie choisie pour satisfaire cette nécessité soit de mettre en place des mesures d’incitation financière. Il convient de s’interroger à la fois sur l’efficacité et sur le ciblage de telles mesures.

Cette volonté de sécurisation pourrait être mise à profit pour tester une organisation qui regrouperait les producteurs et les utilisateurs des biens concernés autour, d’un objectif commun : la satisfaction optimale des besoins. Dans une telle organisation, la notion de client sera remplacée par celle d’utilisateur, la notion de fournisseur par celle de producteur et la collaboration entre eux, réunis autour d’un objectif commun, pourra remplacer l’affrontement.
La recherche d’une organisation permettant le renforcement des liens de collaboration et donc de coopération entre les individus est un objectif plus large que la simple sécurisation d’approvisionnement. Certaines grandes entreprises ont d’ailleurs essayé d’évoluer dans ce sens, avec leurs sous-traitants. Parfois la démarche a été étendue jusqu’à des « filières ». Mais ces initiatives demeurent assez rares, et fragiles, en particulier dans les moments de crises, comme aujourd’hui.

En nous faisant prendre conscience de l’interdépendance entre les êtres et entre les entités économiques, la crise sanitaire a provoqué un réflexe de protection et la recherche d’une plus grande indépendance nationale ou macro-régionale (aux dimensions de l’Europe, par exemple). Les progrès souhaitables ne se limitent pas aux seuls flux de marchandises. Dans le cadre des « filières », il y a place pour la mise en œuvre de stratégies de formation mutualisées. Outre la Formation initiale qui est et sera un élément déterminant dans la réussite économique, la formation continue, tout au long de la vie professionnelle, est seule en mesure d’apporter les compétences adaptées aux nouvelles exigences technologiques. Il faudra l’élargir et inventer de nouveaux modes d’intégration. Intégrer cet objectif dans une perspective de coopération entre entreprises constituerait un progrès significatif.

2. ADAPTER L’ENVIRONNEMENT INSTITUTIONNEL DE L’ENTREPRISE

Changer, améliorer les rapports dans l’entreprise nécessite la mise en place, au niveau européen de réformes communes : refonte fiscale, harmonisation sociale, budget européen et nouvelle forme d’intermédiation financière. L’Europe n’est pas seulement un marché, mais elle est constituée d’hommes et de femmes, elle se doit de revenir à plus de solidarité, de coopération et moins de nationalisme.

L’article 1833 du Code, disposant que « toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés », doit évoluer dans le prolongement d’une réforme du Code civil. Il pourrait être amendé et reformulé, en considérant que « la société doit être gérée dans son intérêt propre, en considérant les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ».

Réintroduire dans l’entreprise la notion de morale et de citoyenneté apparaît également souhaitable, notamment à travers la mise en place de chartes labellisées et/ou de codes de déontologie, conformes à des critères « d’ordre public », c’est à dire à un socle de critères incontournables, définis par les pouvoirs publics. Ces notions républicaines et « philosophiques » ne sont d’ailleurs pas contraires aux exigences de la vie en entreprises : elles en sont au contraire des éléments fondateurs.

C’est en particulier le cas dans le secteur de la finance. A travers ses principales fonctions de traitement de l’information et de gestion des risques, elle joue un rôle essentiel au service de la croissance économique et contribue ainsi à la prospérité collective. Mais elle est fréquemment soumise, plus que toute autre activité économique, à des débordements qui la détournent de sa vocation première. La puissance publique et les régulateurs ont ainsi un rôle essentiel à jouer pour canaliser la finance, en recherchant un équilibre entre deux objectifs : préserver le dynamisme d’une activité essentielle pour la croissance et veiller à son bon fonctionnement, au service des priorités fixées par la société, ce qui suppose d’en prévenir les excès.

L’objectif est en fait de rénover le modèle économique dominant, de réexaminer sous l’angle d’un esprit de coopération tout ce qui peut l’être, de la gestion au quotidien jusqu’au mode de répartition des richesses de l’entreprise. La participation réelle et active de tous, peut redéfinir la relation au travail.

Il pourrait être envisagé ainsi, par exemple, d’inscrire dans une loi sur la transmission d’entreprise qu’une offre de reprise doit d’abord être soumise aux salariés. Quant à la gouvernance, elle pourrait être revue, pour favoriser la participation et l’expression des salariés notamment s’agissant des préoccupations énoncées précédemment, de responsabilité sociale de l’entreprise et de contribution aux transitions énergétique et sociale envisagées.

haut de page