C) Quelle place pour la mission de "tiers de confiance" ?

Le constat d’un besoin accru de « réassurance », lié à une crise de confiance envers les différentes institutions, devrait se traduire par une réflexion sur les missions de « tiers de confiance », peut-être par la structuration d’un pôle autonome au sein des différents pouvoirs [1].

1. LE CONSTAT D’UN BESOIN ACCRU DE TIERS DE CONFIANCE

Parmi les menaces nouvelles et inattendues qui témoignent d’une crise démocratique et contribuent en même temps à l’aggraver, on peut citer les diverses formes de « fake news » ou de complotisme. Les sondages montrent dans l’ensemble des pays dévelopés, notamment en France, une montée paradoxale (dans un contexte de massification des études secondaires et supérieures) de la méfiance vis à vis des messages, des décisions et même des politiques publiques, supposées de plus en plus souvent être placées sous l’influence de lobbys et de conflits d’intérêt.

Les sociétés gestionnaires de réseaux sociaux (Facebook, Twitter) réfléchissent à des interventions de modération plus volontaristes (même si la logique de leur modèle économique est plus fondamentalement d’encourager les contenus provocateurs et iconoclastes qui stimulent les « conversations » mais aussi diffusent les présentations déformées de la réalité). En outre, et en, complément, des tentatives maladroites avaient été esquissées, pour organiser une forme de « riposte » publique, liée à la fonction de porte-parole gouvernemental (devant les protestations de risque de manipulation accrue de la vérité, à des fins de propagande gouvernementale, cette idée émise en 2019 a été rapidement abandonnée).
Enfin, diverses institutions remplissent des missions qui touchent à la qualité des débats publics et/ou à la mise à la disposition de l’opinion d’une information indépendante : contribuer aux débats publics est justement une des missions constitutionnelles de la Cour des comptes, placée à cet effet comme le précise également l’article de la Constitution qui l’évoque « entre l’exécutif et le législatif ». Le Conseil économique, social et environnemental a également une mission à ce titre, que le projet de réforme constitutionnelle en cours de préparation avait prévu de renforcer. D’autres institutions, comme le Médiateur (avec ses diverses composantes), le Défenseur des lieux privatifs de liberté ou ka Haute autorité de santé (pour ne citer qu’elles), contribuent également en partie à cette mission d’éclairage de l’opinion sur des domaines déterminés et de mise à disposition d’informations neutres et fiables.

Cette relative dispersion, comme peut-être l’absence de coordination ou de répartition des espaces de débats à structurer, nuisent cependant à l’efficacité globale de cette mission : l’opinion ne dispose pas d’une « base de données » complète, actualisée et indépendante sur les politiques publiques, ni de réponses en cas de mises en cause provocatrices.

2. QUELLES PISTES D’EVOLUTIONS ?

Plusieurs pistes paraissent ouvertes, et d’abord en ce qui concerne la redéfinition des missions du CESE, qui ne devrait pas être une « chambre de plus » mais un des outils structurants de cette mission de tiers de confiance.

La crise multiple, à la fois sanitaire, économique et sociale, a mis en évidence la difficulté de l’État à faire de la prospective et à dégager de larges consensus au sein de la société civile, quant à l’analyse des tendances de fond et de long terme, l’évaluation des risques potentiels et la formulation des réponses à y apporter. La réactivation d’un « Plan », à côté de France Stratégie, vise un effet d’affichage mais ne paraît pas susceptible de répondre à ces enjeux dans la durée.

Il ne s’agit pas de multiplier les institutions en charge de la prospective, mais plutôt de rassembler ce qui aujourd’hui reste épars. A cet égard, la réforme en cours du Conseil économique, social et environnemental (CESE) offre une opportunité de renforcer l’association des différents corps intermédiaires à l’analyse de l’existant, l’expression de besoins nouveaux et l’élaboration de propositions de réformes. Autour d’une assemblée à la composition resserrée et plus représentative de la société comme de l’économie, le CESE pourrait désormais accueillir les travaux de tous les Hauts-Conseils ou Hauts-Comités, dont de nombreux ministères se dont progressivement dotés pour traiter de questions structurelles présentant à la fois une complexité technique et politique (finances publiques, retraites, assurance maladie, etc.). Le nouveau positionnement de ces structures auprès du CESE permettrait peut-être à celles-ci de gagner en autonomie par rapport à l’exécutif et sans doute à ses travaux de gagner en technicité.

Cette assemblée pourrait avoir un rôle particulier dans la première phase d’état des lieux (autant que possible partagé), notamment pour les projets de loi de programmation [2] (voir supra) dont l’Assemblée nationale devra se saisir dans un deuxième temps ou dont elle pourra être à l’initiative en vue de la consultation de cette assemblée.

Cette assemblée pourrait également avoir un rôle d’éclairage préalable, en cas de référendum d’initiative citoyenne sur des sujets de société concernant par exemple la législation du travail et les entreprises, l’environnement, la lutte contre le dérèglement climatique, les sujets sociétaux qui font débat.

[1Certains misent sur la digitalisation des services de l’État et notamment le recours à des technologies comme les « blockchain », qui permettrait précisément de se passer des tiers de confiance. Ces progrès, réels, paraissent cependant très insuffisants et ne sont pas de nature à résorber le déficit de confiance constaté.

[2Une saisine du CESE est déjà prévue en théorie, pour les projets de lois de programmation, mais peu suivie d’effets.

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